Wilson Yoeza, 73 ans, est un météorologue indigène de Bangalala, dans le district de Same en Tanzanie. Il utilise des méthodes traditionnelles pour établir ses prévisions, notamment l'observation d'indices environnementaux tels que des insectes et des arbres particuliers.
Photo: Thomas Omondi/ IDRC

Unifier One Health et les systèmes alimentaires pour un monde plus durable et plus inclusif

Les systèmes alimentaires illustrent les interdépendances complexes entre les humains, notre environnement physique et les autres organismes. Les changements à notre système alimentaire, qu’il s’agisse de chocs à court terme ou de tendances à long terme, ont des répercussions directes sur la santé humaine, animale et environnementale. Créer des liens plus étroits entre les systèmes alimentaires et les approches « One Health » dans la recherche est un domaine important qui offre des possibilités de renforcer la durabilité et l’inclusivité.

En raison de la pandémie de COVID-19, les épidémies de zoonoses comptent actuellement parmi les problèmes de santé publique les plus médiatisés. L’histoire de cette pandémie ne peut être racontée sans faire référence aux systèmes alimentaires, et aux marchés alimentaires en particulier. Mais la COVID-19 est loin d’être la seule zoonose dont l’histoire naît dans les systèmes alimentaires.

Prenez la maladie de Chagas, une maladie endémique dans 21 pays d’Amérique latine et qui touche six à sept millions de personnes dans le monde. Transmise par le triatome, elle est généralement considérée comme une maladie à transmission vectorielle étroitement associée à la pauvreté. Les gens s’infectent en grattant une piqûre de triatome infecté, répandant les matières fécales de l’insecte à l’intérieur de la plaie de la piqûre. Mais l’écologie de la maladie de Chagas est en train de changer. À partir du milieu des années 2000, un nombre croissant de cas aigus de maladie de Chagas ont été signalés dans le bassin de l’Amazone, tuant des dizaines de personnes et touchant des centaines de personnes. Les épidémies en Amazonie ont été notables en partie parce qu’elles prouvaient que la maladie de Chagas avait trouvé un nouveau mode de transmission : les aliments. Dans la plupart de ces nouveaux cas, les personnes avaient été infectées en mangeant des aliments contaminés par des triatomes infectés ou leurs excréments plutôt que par des piqûres.

Si une approche One Health peut aider à élucider les mécanismes évolutifs de la transmission de la maladie de Chagas – des insectes, aux animaux et aux fruits, aux humains – toute l’histoire nécessite une compréhension des systèmes alimentaires. L’agriculture sur brûlis, une pratique courante utilisée pour ouvrir davantage de terres à la culture dans la forêt amazonienne, a créé l’habitat parfait pour le triatome. Parallèlement, les baies d’açai cultivées à partir de certains palmiers de la région devenaient un produit de plus en plus populaire sur les marchés alimentaires mondiaux. Ces pressions économiques du système alimentaire mondial se sont croisées avec la santé humaine, animale et environnementale pour créer les conditions idéales à la prolifération de la forme aiguë de la maladie de Chagas.

L’histoire de la maladie de Chagas illustre comment la menace et la propagation des zoonoses sont mieux comprises en combinant une approche One Health avec la connaissance des systèmes alimentaires. Le défi est que les systèmes alimentaires sont largement absents dans le domaine de l’approche One Health, et vice versa, la recherche sur les systèmes alimentaires pourrait faire davantage pour intégrer les points forts d’une approche One Health.

Qu’y a-t-il dans un système alimentaire, de toute façon ?

Tout comme One Health, les systèmes alimentaires sont caractérisés par des interdépendances complexes entre de multiples acteurs. Cela inclut tous les acteurs interreliés des chaînes d’approvisionnement et de valeur des produits alimentaires, depuis le stade de la production jusqu’à la transformation, l’emballage, la distribution, la consommation et la gestion des déchets. Les systèmes alimentaires comprennent également les environnements économique, sociétal et naturel plus larges qui les soutiennent.

Des systèmes alimentaires durables et résistants au climat sont un élément clé pour atteindre un grand nombre des objectifs de développement durable (ODD), notamment la faim zéro, la bonne santé et le bien-être, la consommation et la production responsables, les mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques, la vie aquatique et la vie terrestre. Les systèmes alimentaires durables assurent la sécurité alimentaire et la nutrition pour tous tout en garantissant que les méthodes de production d’aujourd’hui ne compromettent pas la sécurité alimentaire, la nutrition et la santé des générations futures. Les systèmes alimentaires sont considérés comme résilients s’ils peuvent résister ou rebondir rapidement après des chocs majeurs, tels que des pandémies ou des événements météorologiques extrêmes résultant des changements climatiques.

Perte de terrain pour l’ODD 2 : Faim zéro
Après une décennie d’amélioration du taux de sous-alimentation dans le monde, les progrès se sont interrompus et ont faibli à partir de 2014. La prévalence de la sous-alimentation a augmenté depuis 2014 et s’est prolongée jusqu’en 2019. Aujourd’hui, il y a 60 millions de personnes sous-alimentées de plus qu’en 2014. Rien qu’entre 2018 et 2019, le nombre de personnes sous-alimentées a augmenté de 10 millions.

Un long chemin à parcourir pour parvenir à des systèmes alimentaires résistants au climat

Il reste un travail considérable à faire sur les systèmes alimentaires au niveau mondial pour s’assurer qu’ils deviennent suffisamment résistants et durables. Nos systèmes alimentaires restent vulnérables aux chocs économiques et climatiques, aux problèmes récurrents d’insécurité alimentaire, et leur capacité à promouvoir une alimentation saine, durable et abordable diminue. La pandémie de COVID-19, qui pourrait considérablement aggraver le nombre déjà croissant de personnes souffrant de la faim dans le monde, en est la preuve la plus récente. Cette crise économique et sanitaire risque d’enrayer ou d’anéantir les progrès réalisés dans le cadre des ODD, dont beaucoup ne sont pas en voie d’être atteints d’ici 2030. En attendant, nous devons également faire face aux changements climatiques, qui aggravent les inégalités mondiales et touchent la production et la disponibilité alimentaires, ce qui a des répercussions sur la nutrition et la santé mondiale. Les liens entre les changements sociaux et environnementaux contribuent à l’augmentation de la faim et des problèmes d’accès à une alimentation saine.

Il sera difficile d’inverser ces tendances. Nous vivons à une époque où les crises humaines et environnementales se conjuguent fréquemment dans ce que l’on peut appeler des calamités cumulées. Ces événements, dont beaucoup sont accélérés par les changements climatiques, créent des facteurs de stress supplémentaires sur le système alimentaire et menacent notre capacité à produire suffisamment de nourriture saine et à la rendre accessible à tous. Atténuer ces calamités cumulées et rattraper le retard sur les ODD nécessitent de renforcer la résilience des systèmes alimentaires et de penser de manière plus intégrée afin de transformer les systèmes alimentaires pour le mieux. La connaissance et l’innovation peuvent contribuer à renforcer l’équité, la diversité et la durabilité des systèmes alimentaires et à accroître leur résilience aux changements climatiques, tout en favorisant une meilleure santé, une meilleure nutrition et une meilleure résistance à d’autres chocs, y compris les pandémies.

Des calamités cumulées en Afrique de l’Est

En 2020, certaines régions d’Afrique de l’Est ont connu une série de graves crises sanitaires et environnementales qui se sont succédées rapidement : la COVID-19, des inondations dévastatrices et la pire infestation de criquets pèlerins en plus de 25 ans. Ces événements ont chacun eu une incidence sur les systèmes alimentaires locaux et se sont combinés les uns aux autres, augmentant la vulnérabilité des populations locales et réduisant leur capacité à pratiquer l’éloignement social et à appliquer des mesures d’hygiène de base. Les mêmes conditions météorologiques qui ont contribué aux infestations de criquets ont également influé sur la croissance des cultures et les prix des denrées alimentaires. Les réserves alimentaires diminuées par les criquets pèlerins ont encore été réduites par les inondations, aggravant l’insécurité alimentaire locale.

En 2020, l'Afrique de l'Est a connu la pire infestation de criquets pèlerins en plus de 25 ans. Photo: Sven Torfinn/ FAO

La connaissance des systèmes alimentaires peut également enrichir One Health

D’autre part, la recherche sur les systèmes alimentaires a beaucoup à offrir à l’approche One Health. Les questions très médiatisées qui nécessitent une approche One Health, à savoir les zoonoses et la résistance aux antimicrobiens (RAM), sont des défis qui se posent dans les systèmes alimentaires et, en fin de compte, les touchent également. Une approche One Health ancrée dans la compréhension des systèmes alimentaires est nécessaire pour élaborer des méthodes de prévention primaire.

Considérez ceci : on estime qu’un milliard d’agriculteurs dans le monde dépendent du bétail pour leur subsistance, leur nutrition et comme forme d’assurance pour le ménage. Les femmes qui possèdent le bétail de leur ménage et en sont responsables sont confrontées à un ensemble de défis particuliers en raison des normes sexospécifiques restrictives et des inégalités persistantes. Pour elles, le bétail peut être une source importante d’emploi et de sécurité financière. Les moyens de subsistance de ces populations sont donc basés sur la proximité du bétail. Selon le contexte, ces petits éleveurs ou leurs animaux peuvent également être en contact étroit avec la faune locale. Ces facteurs les exposent à un risque accru de zoonoses. Étant donné que les petits éleveurs exploitent généralement leur bétail dans des milieux pauvres en ressources, les mesures visant à réduire les épidémies de maladie, telles que les vaccins ou l’abattage et l’indemnisation, sont difficiles à obtenir et à mettre en oeuvre. La lutte contre le risque de pandémie zoonotique exige une compréhension approfondie de ces interactions ainsi que des contextes socioéconomiques et culturels dans lesquels elles se produisent.

Dans le monde, la production de bétail contribue également à l’émergence de la RAM. Dans l’industrie alimentaire, il est courant que les antibiotiques soient trop utilisés sur du bétail et des poissons en bonne santé pour favoriser la croissance et prévenir les maladies. Cela crée des environnements qui accélèrent le processus naturel par lequel les microorganismes développent des défenses contre ces menaces et deviennent résistants aux traitements. Il est alarmant de constater que l’émergence de bactéries multirésistantes, appelées « superbactéries », menace d’ouvrir la voie à un avenir où la procédure médicale la plus simple peut entraîner des complications dévastatrices en raison d’infections incurables.

L’ampleur du problème, en particulier dans les pays à faible et moyen revenu, n’est pas claire, et les systèmes de suivi et de contrôle font défaut. Mais il existe des preuves solides qu’il s’agit d’un problème mondial, dont la propagation dans les pays à faible et moyen revenu est facilitée par les systèmes de production animale intensive qui prolifèrent pour répondre à la demande mondiale croissante de protéines animales. Des points névralgiques mondiaux de la RAM ont été identifiés dans tout le Sud, notamment en Inde, en Chine, au Pakistan, en Iran, en Turquie, au Brésil, en Égypte et au Vietnam, ainsi que dans les régions entourant Mexico et Johannesburg. La lutte contre la résistance aux antimicrobiens exige des efforts mondiaux, coordonnés et multilatéraux, fondés sur une approche One Health, afin de réduire l’utilisation abusive des antimicrobiens. Une partie de cet effort consistera à soutenir la recherche visant à mieux comprendre comment nos systèmes alimentaires contribuent à la RAM et sont touchés par celle-ci, et à trouver des solutions de rechange qui fonctionneront pour les producteurs d’aliments du monde entier.

La voie à suivre

Les crises comme la COVID-19 exposent les vulnérabilités des systèmes alimentaires et sanitaires de nombreux pays. Le plus souvent, ce sont les personnes avec peu de ressources et vivant dans des environnements difficiles, notamment ceux qui sont fortement touchés par les changements climatiques, qui sont en première ligne. Investir dans la recherche de systèmes alimentaires résistants au climat peut améliorer la santé mondiale, les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire, aujourd’hui et pour les générations futures. Le cadre One Health peut contribuer de manière significative à faire avancer la recherche et l’innovation vers cet objectif. Réciproquement, l’apport d’une plus forte dose d’expertise en matière de systèmes alimentaires dans la recherche One Health fournira des renseignements précieux pour faire face à la menace de la RAM et aux épidémies de zoonoses qui se produisent dans les systèmes alimentaires. La COVID-19 nous a tous poussés à réfléchir davantage à la résilience – la nôtre, celle de nos systèmes de santé et celle de nos systèmes alimentaires. En reliant ces deux concepts et domaines de recherche puissants, nous pouvons agir pour renverser les tendances négatives des ODD et construire des systèmes alimentaires pratiques, plus résistants, plus sains, plus nutritifs et plus durables qui fonctionnent pour tout le monde.

Lutter contre les épidémies de fièvre de la vallée du Rift dans les systèmes alimentaires

En 2018, l’Organisation mondiale de la Santé a désigné la fièvre de la vallée du Rift (FVR) comme l’un des huit agents pathogènes les plus menaçants au monde. Cette maladie virale est endémique en Afrique de l’Est et dans la région de la Corne de l’Afrique et touche les chèvres, les moutons, les bovins et les humains. Ses épidémies se produisent selon des cycles irréguliers de 5 à 15 ans. Cette maladie représente un risque important pour la santé humaine et menace la sécurité économique et alimentaire des petits exploitants agricoles de ces régions. Bien qu’il existe un vaccin contre la FVR, son utilisation par les petits exploitants agricoles est limitée, car il est coûteux et l’incitation à vacciner le bétail pendant les longues périodes entre les épidémies est faible. Pour lutter contre cette menace zoonotique, il faut travailler en étroite collaboration avec les petits exploitants agricoles afin d’élaborer des solutions qui tiennent compte des obstacles à l’utilisation des vaccins.

C’est l’une des maladies ciblées par le Fonds d’innovation en vaccins pour le bétail (FIVB), une initiative de 57 millions de dollars canadiens soutenue par la Fondation Bill et Melinda Gates, Affaires mondiales Canada et le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) pour l’élaboration, la production et la commercialisation de vaccins contre les maladies des animaux d’élevage négligées et les zoonoses en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et en Asie du Sud-Est. L’un des projets du FIVB vise à combiner le vaccin contre la FVR avec d’autres vaccins pour le bétail que les agriculteurs utilisent couramment pour réduire ces obstacles à l’utilisation.

Dominique Charron est vice-présidente, Direction générale des programmes et des partenariats, au Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada. Elle est titulaire d’un doctorat en épidémiologie et d’un autre en médecine vétérinaire, obtenus de l’Université de Guelph, en Ontario, au Canada
Evelyn Baraké est administratrice de programme et travaille dans le domaine de l’application des connaissances au Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada.
Courriel: ebarake@idrc.ca

Pour plus d'informations :


CRDI: Fonds d'innovation en vaccins pour le bétail (FIVB)

 

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