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Une voie vers la paix et la stabilité
Avec des réductions annuelles du nombre de personnes souffrant de la faim, la perspective d’un monde bien nourri semblait bien engagée depuis trois décennies. Malheureusement, au cours des deux dernières années, les progrès ont opéré un virage à 180 degrés en raison d’une terrible combinaison toxique de conflits, d’instabilité régionale et d’impact du changement climatique. Si nous ne voulons pas continuer d’aller dans la mauvaise direction, nous devons trouver une meilleure voie vers la paix et la stabilité. Partout où je suis allé, j’ai rencontré des gens, nombreux, craignant de ne pas avoir à manger. Mais chaque fois que j’ai parlé avec eux, tout ce qu’ils ont demandé était d’aider à instaurer la paix, le type de paix qui leur permettrait de mener une vie stable dans les communautés qui ont toujours constitué ce qu’ils appellent « chez moi ». Ces gens savent instinctivement que sécurité alimentaire, cela veut dire moins de tensions communautaires, moins d’extrémisme violent et plus d’entraide mutuelle. Les personnes souffrant de la faim ne sont pas nécessairement violentes, mais il est clair que la persistance de la faim crée le type d’instabilité qui entraîne la multiplication des conflits.
Le nombre de personnes souffrant de faim chronique a atteint 821 millions en 2017, alors qu’il n’était « que » de 777 millions seulement deux ans auparavant. Le problème de la faim prend encore une dimension plus dramatique lorsqu’on considère la faim extrême – ce à quoi sont exposées les personnes nécessitant une aide alimentaire d’urgence parce qu’elles n’ont pas d’autre moyen de se procurer les aliments dont elles ont besoin pour rester en vie. Leur nombre a augmenté de 55 pour cent en seulement deux ans, passant de 80 millions en 2015 à 124 millions l’année dernière. Dans le monde, dix des plus graves épisodes de famine sur treize sont dus à des conflits et 60 pour cent de la population mondiale souffrant d’insécurité alimentaire vivent dans des zones de conflit – 90 pour cent, si vous ne comptez pas le nombre de personnes exposées à l’insécurité alimentaire en Chine et en Inde. La faim est la source de griefs et de conflits de longue date concernant les terres, le bétail et d’autres biens.
Faim et instabilité
Ce sont les enfants qui souffrent le plus des conflits et de la faim. La faim, la malnutrition et la mauvaise santé sont souvent la cause de graves retards de croissance de ces jeunes corps. Ce type de malnutrition a une incidence à long terme sur le développement du cerveau, si bien qu’il est encore plus dur, pour ces enfants, de devenir les adultes productifs dont leurs pays ont besoin. Il n’est pas surprenant d’apprendre qu’à l’échelle mondiale, trois enfants souffrant de retard de croissance sur quatre vivent dans des zones de conflits. Les liens importants entre l’insécurité alimentaire et les conflits contribuent à d’autres difficultés sérieuses dans ces pays. Mon ami, le sénateur Pat Roberts, du Kansas, est on ne peut plus clair à ce sujet : « Montrez-moi un pays qui ne peut pas nourrir sa population, et je vous montrerai un pays plongé dans le chaos », a-t-il coutume de dire. Une analyse réalisée par une organisation affiliée au PAM, WFP USA, confirme ces paroles en montrant que l’insécurité alimentaire est une source d’instabilité et que l’instabilité produit de l’insécurité alimentaire.
États fragiles et insécurité alimentaire
Environ 80 pour cent des pays connaissant une grave insécurité alimentaire sont également considérés comme fragiles – ce dont des pays exposés à des problèmes de gouvernance et d’économie qui rendent encore plus difficile la résolution des conflits et du problème de la faim. D’ici à 2030, on prévoit que les deux tiers des pauvres du monde entier vivront dans des pays considérés comme fragiles. Presque tous les pays se situant dans la partie basse de l’indice d’instabilité politique de la Banque mondiale présentent un niveau élevé d’insécurité alimentaire et connaissent des conflits quasi constants à l’intérieur de leurs frontières. Une étude récente montre que seulement 18 pour cent des états fragiles touchés par des conflits sont sur la bonne voie pour atteindre leur objectif de développement durable (ODD) « Faim Zéro ».
Même lorsque les conflits cessent, le danger n’est pas écarté pour autant. Une étude réalisée par la Banque mondiale indique que les pays sortis d’un conflit ont 40 pour cent de chances d’en connaître un autre dans un délai de dix ans. L’étude donne à penser, et c’est une question de bon sens, que le développement économique réduit le risque de reprise d’un conflit. Les pays ayant le plus fort niveau d’insécurité alimentaire et connaissant un conflit armé sont également ceux dans lesquels l’émigration de réfugiés est la plus élevée. Notre propre étude montre que pour une augmentation de un pour cent de la faim, il y a une augmentation de deux pour cent de l’émigration. Les réfugiés et les demandeurs d’asile fuient ces pays car ils considèrent qu’ils n’ont pas de choix, même si aucun d’eux ne souhaite vraiment partir. Pratiquement tous les Syriens auxquels nous avons parlé dans le cadre de notre étude de 2017 intitulée « At the Root of Exodus » ont déclaré qu’ils souhaitaient retourner en Syrie à condition que leur pays soit sûr et stable. Cela n’a rien de surprenant. Les gens veulent rester avec leurs familles, dans un environnement familier, et ils le font parfois aux dépens de leur propre sécurité. Mais il peut également y avoir un point charnière. Au milieu de 2015, les demandes d’asile en Europe provenant de Syrie sont passées de 10 000 à 60 000 par mois lorsque l’aide humanitaire a été considérablement réduite. Ce fait, ajouté au conflit, a incité les gens à prendre le risque de partir.
Migration et conflits armés
En Afrique, même les dangers que présente la traversée de la Méditerranée ne semblent pas dissuader ceux qui fuient les conflits, la faim et les mauvaises conditions économiques. Les données fournies par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCNUR) montrent qu’en 2016, 730 000 Africains étaient en Europe en tant que réfugiés ou demandeurs d’asile, soit près de deux fois plus qu’en 2010 (360 000). Les conditions de l’instabilité ayant forcé cette migration constituent un terrain particulièrement fertile pour l’extrémisme violent. Elles ne favorisent que trop le recrutement d’extrémistes. Comme l’a déclaré le Programme des Nations unies pour le développement dans un rapport en 2017, « là où règnent l’injustice, le dénuement et le désespoir, les idéologies extrémistes violentes se présentent comme un défi à relever, face au statu quo, et une forme d’évasion. »
Parfois, c’est encore plus simple que ça. Ces groupes d’extrémistes se présentent comme le seul moyen de survivre. En Syrie, une femme a déclaré à nos chercheurs : « Les hommes ont été obligés de rejoindre les groupes d’extrémistes pour pouvoir nous nourrir. C’était la seule alternative possible. »
Un événement survenu en 2011 est peut-être l’exemple le plus frappant de la façon dont la faim a pu servir les intérêts des extrémistes. En Somalie, la sécheresse, la flambée des prix des denrées alimentaires et la guerre civile ont entraîné une famine qui a fait 250 000 victimes. Les chercheurs ont découvert que pendant ce temps, al-Shabaab a empêché les organisations d’aide humanitaire de venir au secours des personnes affamées et a même offert à ces dernières de l’argent pour qu’elles rejoignent leurs rangs. Un représentant du HCNUR a dit de la famine qu’elle était une « aubaine » pour les efforts de recrutement d’al-Shabaab. Le PAM respectera toujours le droit humanitaire et ses principes. Nous ne prenons pas parti ; nous donnons à manger à ceux qui ont faim et qui sont vulnérables, où qu’ils soient. Mais aujourd’hui, la nourriture est utilisée comme une arme de guerre ; nous devons donc l’utiliser comme une arme de paix.
Sur treize grands épisodes de faim dans le monde, dix sont dus à des conflits et 60 pour cent de la population mondiale confrontée à l’insécurité alimentaire vivent dans des zones de conflit – cette proportion passe à 90 pour cent, si on ne tient pas compte de ceux qui sont exposés à l’insécurité alimentaire en Chine et en Inde. La faim est la source de griefs et de conflits de longue date concernant les terres, le bétail et d’autres biens.
La nourriture et d’autres formes d’aide ont aidé des gens à rester dans leurs pays, malgré des conditions difficiles, et des réfugiés à rentrer chez eux pour gagner leur vie et offrir un espoir aux enfants. Une aide humanitaire efficace contribue à soulager les souffrances et à protéger les civils affectés par les guerres et les conflits ; elle encourage également les efforts s’attaquant aux causes profondes des conflits et incite les gens à reprendre des activités économiques productives.
Végétation contre conflits – un exemple au Niger
Le Niger est un pays dans lequel ces types de politiques donnent des résultats qui progressent. Le PAM collabore avec plusieurs organisations partenaires pour aider plus de 250 000 personnes vivant dans environ 35 communes ou localités, à adopter une approche multisectorielle renforçant la résilience et la stabilité. Dans cette région, nous préparons des programmes de résilience intégrée de quatre à cinq activités, choisies par la communauté locale et mises en œuvre avec les partenaires, et nous nous engageons à investir au minimum pendant cinq ans. À titre d’exemples, citons la réhabilitation des terres et la collecte des eaux, la collaboration avec des groupes de femmes pour créer des pépinières et des jardins communautaires, la création de programmes de cantines scolaires et le fait de tirer parti des propres achats du PAM pour contribuer à stimuler les marchés locaux. Une étude effectuée par le PAM et des acteurs extérieurs montre que cela fonctionne : la végétation terrestre a augmenté de zéro à 50 pour cent, et jusqu’ à 80 pour cent dans certaines régions. La productivité agricole a doublé et, dans certains cas, triplé, passant de 500 kg à 1 000/1 500 kg à l’hectare. Après la première année, nous avons constaté une augmentation de 35 pour cent des terres cultivées par de très pauvres ménages.
Nous notons également une plus grande cohésion sociale et de meilleures perspectives d’avenir pour les jeunes dans la région. Les conflits intercommunaux sont en régression car les animaux n’envahissent plus les terres agricoles grâce à l’accroissement de la végétation ou des superficies consacrées à la culture fourrage. Et on a constaté une réduction (à trois mois par an) de la migration induite par les pénuries alimentaires chez 60 pour cent des membres de ménages très pauvres et un arrêt total de la migration chez dix pour cent. Par ailleurs, les femmes n’ont plus à abandonner momentanément leurs enfants pour aller chercher du fourrage ou du bois de chauffage. Au lieu de cela, elles participent elles-mêmes à l’économie et veillent à s’assurer que leurs enfants vont à l’école.
Ces efforts concertés et ciblés créent de la stabilité et le type de conditions qui aident les familles, les communautés et les régions à se prendre en charge. Les communautés investissent dans des programmes tels que les banques céréalières et les femmes créent des groupes d’épargne et des activités pouvant aider les régions à faire face en cas de sécheresse. Les travaux commencent par la production alimentaire, car rien d’autre ne peut se produire lorsque tout le monde a faim. Mais ils concernent également les écoles, l’eau, les routes, la gouvernance et de nombreux autres moyens d’aider une communauté à se prendre en charge. Nos travaux au Niger associent ce que nous appelons les programmes « Food Assistance for Assets » (assistance alimentaire pour la production d’actifs) avec des formations techniques, des achats locaux, des interventions en matière de nutrition, le soutien des programmes publics de cantines scolaires, ainsi qu’avec l’aide accordée pendant les périodes de sécheresse (saisons creuses). Grâce à cette approche, le PAM a contribué à réhabiliter 90 000 hectares de terres dégradées depuis 2014, à planter trois millions d’arbres et à réhabiliter 86 plans d’eau majeurs. Le PAM collabore actuellement avec le gouvernement du Niger pour accroître considérablement ses efforts de renforcement de la résilience, notamment grâce à une subvention de 25 millions de dollars US accordée par l’Allemagne.
Coopération plutôt que concurrence – telle est la règle du jeu
Et nous n’agissons pas seuls. Au Niger et dans l’ensemble du Sahel, cette réussite est due à la collaboration des trois agences des Nations unies basées à Rome et ayant pour mission de soulager la faim et de développer des économies basées sur l’agriculture : le Programme alimentaire mondial (PAM), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Fonds international de développement agricole (FIDA). En tant que dirigeant d’une de ces trois agences, je peux affirmer de manière catégorique que la règle du jeu, c’est la coopération, pas la concurrence. Je répète inlassablement à mon équipe : peu importe à qui revient le mérite du moment que nous sommes efficaces. Les dirigeants des trois agences sont allés deux fois en Afrique, notamment lors d’un voyage au Niger, pendant l’été 2018, pour évaluer nos projets et programmes. Nos équipes savent que nous attendons des agences qu’elles collaborent entre elles ainsi qu’avec les administrations locales. Et je pense que ça paie. Par exemple, dans le cadre du développement agricole au Niger, le PAM contribue à réhabiliter des terres dégradées alors que la FAO et le FIDA complètent notre intervention en fournissant des semences améliorées, ainsi que des conseils et des formations visant à aider les agriculteurs à améliorer leur production.
Programme de repas scolaires – plus que de la nourriture
Pour les programmes de repas scolaires du PAM, nous achetons les produits aux petits exploitants agricoles ayant suivi une formation de la FAO par l’intermédiaire d’un programme de soutien de la chaîne de valeur du FIDA. Ces collaborations contribuent à développer et diversifier l’économie agricole au Niger, ainsi qu’à améliorer la sécurité nutritionnelle et alimentaire. Ce programme de repas scolaires est assurément un élément clé de cette stratégie favorable au développement et à la paix. Il présente un excellent rapport efficacité-coût – en moyenne, le PAM dépense 50 dollars US pour nourrir pendant toute une année un enfant scolarisé. Et pour certains parents, cette nourriture est la raison pour laquelle ils envoient leur enfant à l’école car ils sont sûrs qu’il aura au moins un repas dans la journée.
Mais je pense que l’intérêt du programme ne se limite pas à ça. Lorsqu’ils mangent, les enfants sont assis ; ils parlent et rient ensemble et je pense qu’ils ont ainsi l’occasion de se percevoir comme des êtres humains. Ces repas les lient les uns aux autres. Et lorsqu’ils seront plus âgés, ces liens seront plus difficiles à rompre.
L’année dernière, Hatem Ben Salem, ministre de l’Éducation de la Tunisie, m’a écrit au sujet de son « souvenir ému » des repas scolaires lorsqu’il était enfant. « L’heure du repas, à l’école, offrait une occasion aux enfants de milieux différents, pauvres et riches, de s’asseoir à une table et de partager un repas chaud, » a-t-il écrit. Les dépenses militaires à l’échelle mondiale se situent actuellement à deux mille milliards de dollars US par an. Mais les programmes dont il est question ici pourraient nous permettre d’économiser une partie de cet argent.
La nourriture est utilisée comme une arme de guerre, nous devons donc l’utiliser comme une arme de paix.
La collaboration à la réalisation de l’objectif mondial « Faim Zéro » grâce à cette approche du « triple nexus » : aide humanitaire, coopération au développement et instauration de la paix est véritablement la meilleure défense pour chaque pays. Nous devons doubler la mise sur ce type de travaux car la recherche montre clairement que 60 pour cent des conflits se reproduisent, et que depuis le milieu des années 1990, la plupart des conflits n’ont été que des reprises de combats antérieurs.
Je souhaite dire comment cela fonctionne de manière concrète. Au printemps 2018, j’ai rencontré Fazle au Pakistan. Huit ans plus tôt, les combats permanents l’avaient poussé, lui, son épouse et leurs quatre enfants, à quitter leur domicile et leur exploitation agricole. Ils aimaient leur maison, mais avec tous ces échanges de coups de feu et les groupes extrémistes armés, Fazle et les membres de sa famille ont dû choisir entre partir ou rester et être confrontés à la mort, la destruction et l’instabilité qui vont de pair avec la guerre. Mais sept ans plus tard, Fazle et sa famille sont rentrés chez eux et tout va bien pour eux. Le PAM et le gouvernement du Pakistan leur ont donné six mois d’aide alimentaire, ce qui leur a permis de voir venir et de participer à un programme de la FAO qui a aidé Fazle à créer une pépinière. Il gagne maintenant environ 130 dollars US par mois, soit quatre fois plus que le montant de son précédent revenu. Fazle et les membres de sa famille ne demandent qu’à vivre, travailler et poursuivre leurs rêves. La sécurité alimentaire a été la pierre angulaire sur laquelle ils ont bâti leur nouveau départ – elle n’a pas seulement sauvé leur vie ; elle l’a aussi changée.
David Beasley est directeur exécutif du Programme alimentaire mondial des Nations unies.
Contact : david.beasley@wfp.org
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