Les représentants des organisations de la société civile critiquent le fait que le droit à l’alimentation n’est mentionné dans aucune des cibles des ODD ; ils demandent une meilleure prise en compte des approches fondées sur les droits.
Photo: J. Boethling

Sécurité alimentaire et nutritionnelle dans les ODD – où allons-nous ?

L’exigence d’élimination de l’extrême pauvreté et de la faim a été au cœur des objectifs du Millénaire pour le développement ; le premier OMD correspond au lien étroit qui existe entre la pauvreté et la capacité des pauvres à avoir accès à une alimentation sûre, nutritive et suffisante. Comment l’objectif de sécurité alimentaire et nutritionnelle va-t-il être intégré dans les ODD ? Ceux-ci vont-ils constituer une étape supplémentaire vers la réalisation de cet objectif ?

Depuis l’élaboration des objectifs du Millénaire pour le développement à la suite du sommet des Nations unies de 2000, la pertinence perçue de la sécurité alimentaire mondiale s’est plutôt accrue : la crise des prix des produits alimentaires (2008–2009) a attiré encore plus l’attention sur la dynamique mondiale de la sécurité alimentaire, notamment sur l’évolution de la démographie et des habitudes de consommation, les effets du changement climatique ou les tendances du commerce et des prix internationaux. Elle a aussi brutalement rappelé l’importance de la sécurité alimentaire pour la stabilité politique lorsque plusieurs pays ont connu des troubles civils au plus fort de la crise des prix des produits alimentaires.

Il est aujourd’hui crucial de savoir quelle place la sécurité alimentaire et nutritionnelle occupera dans le nouveau programme de développement post-2015. Ce programme est censé tenir compte de toutes ces nouvelles dynamiques dans un ensemble d’objectifs plus complets, universels, durables et intégrés.

Où nous en sommes actuellement

Lors de la Conférence des Nations unies Rio+20, il a été décidé d’élaborer un ensemble mondial d’objectifs et de cibles universellement applicables à toutes les nations. Ce nouvel ensemble d’objectifs devait associer les aspects de développement et de durabilité. La proposition d’un tel ensemble d’objectifs de développement durable (ODD) par le groupe de travail ouvert (GTO) a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2014, date à laquelle il fut également décidé que cette proposition constituerait la base d’intégration des ODD dans le programme de développement post-2015 (résolution A/68/L.61).

Parmi les 17 objectifs et 169 cibles proposés, l’objectif 2 et les cinq cibles qui lui sont associées sont particulièrement importants en ce qui concerne la sécurité alimentaire et nutritionnelle. L’objectif 2 met exclusivement l’accent sur « l’élimination de la faim, l’assurance de la sécurité alimentaire, l’amélioration de la nutrition et la promotion de l’agriculture durable ». Au lieu d’associer la pauvreté et la faim dans le même objectif, comme dans l’OMD 1, la proposition consacre un objectif indépendant à la sécurité alimentaire.

L’élimination de la faim et la réalisation de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, comme dans l’OMD 1c, est un aspect clé du nouveau programme. Cependant, alors que l’OMD 1c ne tenait compte que de l’apport calorique, le nouvel objectif proposé fait référence à l’élimination de « toutes formes de malnutrition », y compris la dénutrition, la « faim cachée » (manque de nutriments essentiels) et certaines formes de suralimentation, conduisant par exemple à l’obésité.

Ce qu’il y a également de nouveau par rapport aux OMD, c’est une cible prévoyant de doubler la productivité agricole et les revenus des petits producteurs de denrées alimentaires et stipulant plusieurs conditions, par exemple l’accès aux ressources productives et les possibilités d’emplois non agricoles. Alors que ces trois premières cibles mettent plus l’accent sur les dimensions sociales et économiques, les deux autres couvrent essentiellement l’aspect environnemental. La cible 4 demande de « garantir des systèmes de production alimentaire durable » et souligne, entre autres, la nécessité de préserver les écosystèmes et d’améliorer la qualité des terres et des sols. La dernière des cinq cibles concerne spécifiquement la nécessité de préserver « la diversité génétique des semences, des plantes cultivées, des animaux d’élevage et des animaux domestiques, et des espèces sauvages qui leur sont apparentées ».

Pour chaque objectif, trois « moyens de mise en œuvre » soulignent les exigences de réalisation des cibles et présentent d’importantes mesures, parmi lesquelles (2.a) l’accroissement des investissements dans l’infrastructure rurale, la recherche agricole et les services de vulgarisation, etc., (2.b) la prévention des restrictions et distorsions commerciales et (2.c) le bon fonctionnement des marchés.

En plus d’être abordés dans l’objectif 2, les aspects alimentaires et agricoles sont également intégrés dans toute la proposition et ce dès le paragraphe 2 du Préambule faisant allusion à l’engagement réitéré, lors de la conférence Rio+20, de « libérer l’humanité de la pauvreté et de la faim de toute urgence ».

D’autres références importantes sont faites au « contrôle des terres » dans l’Objectif 1 sur l’élimination de la pauvreté, à la réduction des pertes alimentaires et des pertes après récoltes dans l’Objectif 12 sur les modes de consommation et de production durables, à la réglementation de la pêche dans l’Objectif 14 sur l’exploitation durable des océans, des mers et des ressources marines, et à la recherche d’un monde exempt de dégradation des terres dans l’Objectif 15 sur l’exploitation durable des écosystèmes terrestres.

Des avancées, mais aussi des insuffisances

La façon dont le programme aborde la sécurité alimentaire et nutritionnelle, ainsi que l’agriculture, est très complète et va clairement au-delà des OMD. L’intitulé « éliminer la faim, … » de l’objectif 2 ne laisse aucun doute sur le fait que le niveau des ambitions est supérieur à celui des ambitions des OMD. Au  lieu de définir des étapes successives limitées dans le temps, la proposition vise l’objectif final qui est d’éliminer la faim en une génération.

L’intention qu’a la communauté internationale d’avoir des objectifs universels – qui posent un problème non seulement pour les pays à faible revenu, mais également pour les pays à revenu moyen et élevé – est rappelée de diverses façons. Ainsi,

  • la cible 2, avec « malnutrition dans toutes ses formes », inclut également l’obésité, qui est devenu un problème croissant, et pas seulement dans les pays à revenu moyen et élevé ;
  • la cible 4 sur les systèmes alimentaires durables est un défi à relever pour tous les pays, comme l’est la cible sur les pertes alimentaires et les pertes après récoltes.

Une autre exigence des objectifs a été précisée dans le document de résultat de Rio+20, au paragraphe 247 : ils doivent être « concrets, concis, faciles à communiquer et en nombre limité » ou doivent être ce qu’on appelle souvent SMART (spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels). Dans la proposition, y compris dans l’Objectif 2, la plupart des intitulés des cibles ne répondent pas encore à ces critères et gagneraient à être formulés de manière plus explicite.

Avec l’actuel contenu des objectifs, la proposition reflète largement le consensus politique mondial sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle qui s’est imposé au cours des dernières années grâce au dialogue international à l’occasion de forums tels que le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (Committee on World Food Security – CFS), le G7 ou le G20, ou au sein d’autres agences des Nations unies.

Cependant, des organisations de la société civile internationale et allemande œuvrant dans le domaine de la sécurité alimentaire et nutritionnelle ont critiqué certains aspects de la proposition. Par exemple, elles déplorent que le droit à l’alimentation ne soit pas mentionné dans la moindre cible et demandent une plus grande prise en compte des approches fondées sur les droits. Elles estiment également que la dimension environnementale n’est pas suffisamment intégrée dans les cibles. Autre critique : le secteur privé devrait se voir confié plus de responsabilités en matière de développement durable et en assumer la responsabilité.

Dans le processus intergouvernemental du groupe de travail ouvert, il n’y aurait eu que peu de débats contradictoires sur les cibles associées à la sécurité alimentaire et nutritionnelle et à l’agriculture, sauf en ce qui concerne la biodiversité agricole et le commerce. La plupart des autres discussions ont concerné des détails de libellé.

Les prochaines étapes

La formulation des objectifs et des cibles a certes son importance, mais il y a beaucoup plus à dire sur le programme. Le fait de savoir si oui ou non les ODD vont réellement déclencher des actions et faire une différence en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire et nutritionnelle dépend de plusieurs autres déterminants du futur programme actuellement en cours d’élaboration et débattus :

1.    Indicateurs : les cibles seront concrétisées et rendues mesurables grâce aux indicateurs, mais à ce jour, aucune décision n’a été prise, même pas en ce qui concerne leur processus d’élaboration. C’est dire s’il sera difficile de se mettre d’accord sur les indicateurs. Si, dans certains cas, la question est plus de savoir quels indicateurs potentiellement adaptés utiliser, et combien, (par exemple pour la sécurité alimentaire), dans d’autres la question est encore de savoir comment mesurer les cibles. Quels indicateurs peuvent être utilisés pour mesurer l’agriculture durable ou le niveau des pertes alimentaires et des pertes après récoltes ?

2.    Suivi : une autre question importante est de savoir quel type de système de suivi et d’examen sera adopté pour suivre les progrès avec les indicateurs et réaliser les ODD – la proposition du GTO parle d’un mécanisme efficace et fiable. Un système de reddition de comptes internationale doit être adopté et les capacités nationales doivent y être adaptées. La disponibilité et la qualité des données poseront un problème pour bon nombre de cibles liées à l’alimentation.

3.    Financement du développement durable : par ailleurs, le processus parallèle de financement du développement durable, qui conduira à la Conférence internationale sur le financement du développement, à Addis-Abeba, en juillet 2015, et constituera une importante contribution au programme de développement post-2015, devrait influencer la mise en œuvre du programme avec les moyens de financement disponibles et envisagés. Combien coûtera la mise en œuvre du programme et comment les coûts seront-ils couverts ?

4.    Autres objectifs du programme : les progrès éventuels en matière d’élimination de la faim et de la malnutrition dépendront non seulement de l’intitulé spécifique de l’Objectif 2, mais aussi, bien sûr, énormément des progrès réalisés concernant les autres cibles. Par exemple, l’amélioration de la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans les États fragiles et dans des situations d’urgence complexes est une question majeure qui nécessite une approche politique multisectorielle et des progrès relativement à l’Objectif 16 sur la promotion de sociétés pacifiques et inclusives. La transition structurelle permanente dans les zones rurales où l’urbanisation, la migration, l’évolution démographique et le changement climatique ont un impact considérable sur les revenus et les possibilités d’emplois dans l’agriculture, est une autre question. Les solutions politiques facilitant une transition « en douceur » devront intégrer diverses approches allant de la création d’emplois à grande échelle dans les zones rurales, aux investissements dans l’infrastructure et aux politiques de sécurité sociale.

5.    Cibles nationales : il est prévu que tous les gouvernements fixeront les niveaux applicables à leurs propres cibles nationales – « en s’appuyant sur le niveau d’ambition mondial mais en tenant compte des circonstances nationales » (paragraphe 18, proposition du GTO). Cela dépendra bien entendu du niveau de développement de chaque pays et des capacités et des ressources dont il dispose. Toutefois, tous les pays ont une certaine latitude ou « marge de manœuvre » pour déterminer leur niveau d’ambition. Il est extrêmement important, sinon décisif, que le gouvernement ait la ferme volonté politique de prendre le programme avec sérieux et que ses citoyens demandent une action appropriée.

6.    Partenariat mondial : la détermination de la communauté internationale dans son ensemble, où le niveau de l’ambition nationale et celui de l’ambition mondiale se renforcent mutuellement, sera également importante pour la réalisation du programme. La proposition du GTO indique ainsi clairement que la mise en œuvre des objectifs dépendra d’un « partenariat mondial de développement durable entre les gouvernements, la société civile, le secteur privé et le système des Nations unies ». La sécurité alimentaire et nutritionnelle et la promotion d’une agriculture durable doivent être une question clé de ce partenariat mondial : les acteurs concernés doivent insister sur la définition d’un programme ambitieux et sur la mobilisation d’une action cohérente de tous les acteurs.
Ces dernières années, divers gouvernements se sont engagés à s’attaquer prioritairement à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Ainsi, des gouvernements de pays à faible revenu ont élaboré des stratégies nationales et ont adhéré au mouvement d’amélioration de la nutrition (Scaling-Up Nutrition – SUN), et des gouvernements africains ont suivi le processus PDDAA (Programme détaillé de développement de l’agriculture africaine). De nombreux pays à revenu élevé ont également pris des engagements politiques et financiers, notamment lors du Sommet de L’Aquila (G8) en 2009. Des efforts d’amélioration de la cohérence et de la coordination des politiques mondiales ont été faits dans des forums tels que les Nations unies, le G7 ou le G20, ou le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CFS). La réforme du CFS, en 2009, a été un exemple d’établissement d’une gouvernance mondiale et d’ouverture à l’égard d’autres parties prenantes, notamment les représentants d’organisations de la société civile et du secteur privé.

Il s’est donc passé bien des choses ces dernières années dans le domaine de la sécurité alimentaire et nutritionnelle et de l’agriculture, au niveau national, régional et mondial. L’arrivée des ODD devrait donc donner une nouvelle impulsion pour accélérer le processus, pour utiliser les structures créées avec une nouvelle détermination et pour progresser dans le domaine de la sécurité alimentaire et nutritionnelle à l’échelle mondiale.


Ellen Funch
Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ)
GmbH (jusqu’à la mi-février 2015)
Bonn, Allemagne
Food-security@giz.de
 

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