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L’or blanc – la lutte pour la qualité au Burkina Faso
Le coton est de retour ! Tel est le message que Wilfried Yaméogo veut faire passer au monde entier. Wilfried Yaméogo est le patron de Sofitex, société cotonnière en grande partie publique qui contrôle 80 pour cent de l’industrie cotonnière au Burkina Faso. Et les affaires marchent bien. Jamais on n’avait produit autant de coton. Avec une production totale de plus de 600 000 tonnes, la récolte de 2016–2017 a été particulièrement bonne. Le Burkina Faso a réaffirmé sa position de premier producteur de coton en Afrique. « Grâce à notre retour à cent pour cent à la culture traditionnelle du coton, » explique Monsieur Yaméogo.
Le Burkina Faso a pris sa décision historique à la fin de 2016 : « Nous disons non au coton génétiquement modifié. Nous disons non à Monsanto. » Ainsi ce petit pays d’Afrique de l’Ouest aurait réussi à chasser Monsanto ? Il aurait repoussé cette société géante qui, pour beaucoup, est la quintessence des grosses entreprises et utilise sa puissance sur le marché pour priver les populations des pays en développement de toute perspective de véritable développement ? « Doucement, doucement, » comme ils disent au Burkina Faso. Pas si vite.
Lorsque, en 2008, les producteurs ont commencé à mettre en terre les graines de coton élaborées dans des laboratoires américains, ils ont pensé que le marché passé avec Monsanto allait les sauver. En Afrique de l’Ouest, la production de « l’or blanc » était en crise depuis les années 1990. La technologie archaïque utilisée dans les usines d’égrenage du Burkina Faso remontait à l’époque coloniale française. Pire encore, les producteurs de coton avaient connu de nouvelles infestations des cultures tous les ans. Il y a d’abord eu les chenilles, qui dévoraient les feuilles jusqu’à ce que les champs soient dénudés, puis il y a eu les aleurodes, qui noircissaient les fibres blanches du coton.
C’est alors que Monsanto est arrivé avec ses semences OGM et la promesse d’une résistance efficace aux parasites – et un moindre besoin d’utiliser des pesticides. Le coton génétiquement modifié de Monsanto est conçu pour résister aux applications de Roundup, un herbicide dont l’ingrédient actif est le glyphosate. L’idée était que l’herbicide allait détruire toute la végétation néfaste et laisser intactes les feuilles du coton GM. Du moins, en théorie.
Les fibres sont devenues plus courtes
Que cela se soit réellement passé comme prévu est pour le moins très contestable. Et peut-être qu’en fin de compte ce n’est pas si important que ça. Car soudain, une découverte inquiétante a été faite par les transformateurs de coton, c’est-à-dire des gens comme Anselme Kaboré, qui travaille dans le laboratoire de tests de Sofitex – l’endroit où un petit échantillon est prélevé sur chaque balle de coton, mesuré, pesé et classé pour en déterminer la qualité. Car meilleure est la qualité, plus le prix du marché est élevé. L’environnement du laboratoire, certifié à la norme ISO 129 (documentation technique des produits), est contrôlé : la température de l’air est ramenée à 21 degrés centigrades et le taux d’humidité est maintenu à 65 pour cent. Anselme Kaboré explique : « Nous avons constaté que nos fibres de coton étaient devenues trop courtes. » En effet, après l’adoption du système Monsanto, la longueur des fibres avait diminué d’un bon millimètre.
Les experts du secteur savaient depuis longtemps que les fibres du coton produit en Afrique de l’Ouest sont plus longues, ce qui faisait leur réputation. « Cela voulait dire que nous perdions notre sceau de qualité, » explique le patron de Sofitex. Sur un marché mondial où la concurrence est féroce, c’était l’équivalent d’une débâcle. Le coton est cultivé dans de nombreux pays de l’hémisphère sud, de la Chine et de l’Inde à l’Amérique du Sud en passant par la Tanzanie et le Mali, et les producteurs de coton high-tech des États-Unis restent de sérieux concurrents.
Au Burkina Faso, dans les champs où les fibres blanches du coton sont portées par des plantes atteignant la hauteur du genou, la culture et la récolte nécessitent toujours un dur travail manuel. Bognini Boyoun est un producteur de coton de Koumbia, près de Bobo-Dioulasso. Il cultive le coton sur 16 hectares de terre et paye ses cueilleurs – dont douze sont actuellement au travail – 500 francs CFA par jour. « Je leur offre également un repas chaud, » ajoute-t-il. Il a longtemps utilisé les produits Monsanto et commente en ces termes le retour au coton traditionnel : « Il nous est revenu à l’oreille que le marché mondial n’était plus vraiment satisfait de nos produits. »
Sa propre expérience a été mitigée. D’un côté, il confirme qu’il a pu réduire l’utilisation de pesticides. Mais de l’autre, ses semences lui coûtaient bien plus cher. « Les semences de coton traditionnel nous coûtent actuellement environ 3 000 francs CFA à l’hectare alors qu’avant, avec les semences OGM, ça me revenait à 27 000 francs CFA à l’hectare, » rappelle Bognini Boyoun tout en inspectant son champ sous un chaud soleil de fin de matinée.
Le coton biologique est-il une alternative ?
« Je ne peux pas me permettre de faire ça, » dit Hélène Kabré. Elle produit du coton dans un petit village à une heure et demie de voiture de la capitale, Ouagadougou. Pour pouvoir acheter des semences modernes, il faudrait qu’elle emprunte de l’argent. « Mais ma production ne me rapporterait jamais assez pour me permettre de rembourser cet argent. » Elle est propriétaire de son champ, mais elle a constaté qu’elle continuait de s’endetter après le décès de son mari. Cette veuve doit maintenant s’occuper seule de ses six enfants. Elle est un peu soulagée parce que son ainé vient de rentrer dans l’armée et peut gagner sa vie – ce qui est formidable, remarque-t-elle, tant que le pays reste en paix.
Hélène Kabré et ses voisins ont commencé à travailler avant huit heures ce matin. Elle cueille les fibres blanches à l’aspect laineux en veillant à ne pas s’écorcher les mains aux épines des branches. Dans de nombreuses autres exploitations, les gens pulvérisent des produits chimiques sans porter de vêtements de protection et sans contrôle approprié. Mais dans son champ, Hélène Kabré n’utilise pas de produits chimiques. Elle cultive son coton conformément aux méthodes de production biologique. Au lieu d’utiliser des engrais chimiques et des pesticides, elle répand du fumier et du paillis. Elle pratique également la rotation des cultures pour préserver la qualité du sol.
Un rayon d’espoir
Premier producteur de coton d’Afrique et pourtant un pays très pauvre. Selon l’indice mondial de développement humain, le Burkina Faso se classe 185ème sur 188 pays. Les 19,5 millions d’habitants que compte le pays sont confrontés à la sécheresse qui sévit dans la région du Sahel et au fait que le Sahara gagne du terrain.
Dans leur grande majorité, les communautés villageoises dépendent de l’agriculture. Malheureusement, les rendements agricoles des petits champs cultivés sont trop faibles pour assurer la survie des familles. Des milliers de personnes tentent leur chance dans la recherche illégale de l’or, alors que d’autres pénètrent en Côte d'Ivoire comme migrants à la recherche d’un travail au moment des moissons.
Et pourtant la population reste confiante et vit d’espoir dans ce pays dont le nom, Burkina Faso, veut dire « Pays des hommes intègres ». Cette jeune démocratie semble redécouvrir la stabilité après les récents remous révolutionnaires, les changements de pouvoir et une tentative de coup d’État.
Hélène Kabré gagne moins que les producteurs de coton traditionnel. C’est pourquoi la production de coton biologique reste un petit créneau d’activité et ne représente qu’un pour cent de la production totale du Burkina Faso. Mais il y a un côté positif : « Pour l’instant, nous vendons tout notre coton biologique, » fait remarquer David Nana, jeune membre d’une association nationale de producteurs de coton, l'Union nationale des producteurs de coton du Burkina Faso (UNPCB). Du point de vue de l’UNPCB, la production de coton biologique pourrait augmenter si les cultivateurs pouvaient compter sur des accords d’achat garantis. Ils ont également besoin d’installations de transformation spéciales pour le coton biologique, afin d’accélérer le processus de valeur ajoutée, car les usines d’égrenage existantes ne peuvent commencer à traiter le coton bio qu’après que tous les produits traditionnels ont été transformés. Cela entraîne des retards pouvant atteindre six mois. Heureusement, des mesures sont prises pour changer tout ça. Dans le cadre d’une initiative conjointe de l’UNPCB, de Sofitex et des services de secours catholique (Catholic Relief Services – CRS) américains, une usine d’égrenage consacrée au coton biologique est en cours de construction. Elle devrait être prête d’ici à 2019.
Demande d’indemnisation
Après que Wilfried Yaméogo et Sofitex ont obtenu le départ de Monsanto, leur plainte contre l’entreprise demandait notamment le paiement d’une forte indemnisation des dommages occasionnés : 48 milliards de francs CFA (76 millions de dollars US) pour les promesses non tenues du coton GM. D’un autre côté, plusieurs millions restaient dus à Monsanto en droits d’utilisation de ses semences et herbicides.
Les deux partis se sont finalement mis d’accord sur un règlement à l’amiable du litige en mars 2017. Les gens de Sofitex ont accepté 11,3 milliards de francs CFA – bien que ce qu’ils escomptaient initialement, mais le directeur de Sofitex, Wilfried Yaméogo, est parti du principe qu’un mauvais arrangement financier valait mieux qu’une mauvaise décision judiciaire. Un trait a été tiré sur l’ensemble de l’affaire. « Aujourd’hui, le dossier Monsanto est clos, » dit-il. Vraiment ?
Le problème est qu’un autre dossier reste ouvert. « Nous avons dit au-revoir à Monsanto, » ajoute Wilfried Yaméogo, « mais pas au génie génétique. » Contrairement à ce que beaucoup pensent, le « non » opposé à Monsanto n’est pas automatiquement un « oui » au coton traditionnel. En effet, Sofitex est à la recherche d’un nouveau partenaire – qui, cette fois, pourra garantir la bonne longueur des fibres et, par conséquent, la qualité voulue – de perspectives de profits juteux sur le marché mondial.
Que nous réserve l’avenir ?
Les Allemands sont entrés dans l’arène. « Nous avons contacté Bayer en décembre 2014 et, sur le principe, le groupe allemand est d’accord, » déclare Monsieur Yaméogo. Bayer, un comble ! Le groupe qui a commencé des négociations de fusion avec son concurrent, Monsanto, en 2016 et qui depuis, est devenu un acteur quasi incontournable dans le domaine de l’agroalimentaire.
Toutefois, la fusion du géant allemand des produits chimiques et de ses lourdes traditions avec le roi américain de la semence s’avère plus compliquée que Bayer l’avait prévu. Pendant l’été 2018, un tribunal des États-Unis a statué contre Monsanto, maintenant l’accusation selon laquelle les produits à base de glyphosate avaient été la cause d’un cancer et exigeant l’indemnisation du plaignant en phase terminale.
Avant ce revers, la fusion avait été repoussée en raison de toutes sortes d’obstacles anti-trust – ce qui a également obligé l’entreprise Sofitex du Burkina Faso à attendre avant la signature d’un accord.
En février 2018, le patron de Sofitex a déclaré : « Bayer a promis de revenir s’asseoir à la table de négociation dans un avenir proche. » Cela n’a pas été confirmé par le siège de Bayer à Leverkusen, mais il est intéressant de noter que le groupe allemand a, depuis, pris une participation majoritaire dans Monsanto Burkina Faso SARL, comme en témoigne une liste des holdings du groupe parue en août 2018. Parallèlement, les récoltes 2017–2018 du Burkina Faso ont été décevantes après une année record en 2016–2017. Sofitex n’a pas encore publié les données exactes, mais confirme que les rendements ont été inférieurs aux attentes. Pour Sofitex, cela n’a rien à voir avec l’abandon progressif du coton GM. Ce recul est entièrement dû aux conditions défavorables de la saison des pluies – comme d’autres pays producteurs de coton de la région, le Mali et le Bénin, par exemple, peuvent le confirmer. De fait, l’objectif audacieux fixé pour la saison 2018–2019 est de 800 000 tonnes.
Néanmoins, Wilfried Yaméogo ne renonce pas définitivement au coton GM. Bayer, dit-il, reste le meilleur candidat pour la production de coton au Burkina Faso. Il fait valoir que cette compagnie a déjà une expérience de la production de coton au Cameroun. Le directeur de Sofitex pense qu’il pourrait falloir jusqu’à sept ans pour que les deux camps tombent d’accord et qu’en attendant le secteur cotonnier du pays veut continuer à produire du coton traditionnel. Alors, oui, « le coton est de retour ! », mais avant longtemps on pourrait bien dire oui, « Monsanto est de retour » au Burkina Faso.
Christian Selbherr est rédacteur en chef et journaliste à la revue « missio magazin », publiée par l’organisation d’aide catholique missio, dont le siège est à Munich.
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