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Les temps changent, l’alimentation aussi
Ce que les gens choisissent de manger et leur façon de consommer et d’interagir avec les aliments diffèrent selon ce qu’ils sont, où ils sont et d’où ils viennent. Malgré ces différences, les aliments et les régimes alimentaires sont une part essentielle de qui nous sommes en tant qu’êtres humains et individus.
L’importance de l’alimentation est fondamentale car l’être humain doit survivre, avoir de l’énergie et effectuer des tâches quotidiennes. Globalement, la santé et les fonctions physiologiques qui déterminent le bien-être général dépendent fortement de la composition des régimes alimentaires, de leur adéquation, de leur diversité et de leur sécurité. Mais les choix alimentaires ne sont pas seulement influencés par la santé. Le lieu d’origine des individus et de leurs familles a une incidence sur leur culture, leurs traditions et leurs croyances qui, à leur tour, influent sur leur façon de choisir, préparer et considérer les aliments.
Les traditions et la culture déterminent également les types de régimes alimentaires des gens. La relation quotidienne d’une personne avec l’alimentation est complexe et dépend de plusieurs facteurs tels que le coût, le moment de la journée et la disponibilité des aliments. L’alimentation n’est donc pas un concept solitaire ; elle a au contraire des liens avec de nombreux aspects de la vie et comprendre ces liens est la première étape vers la compréhension des habitudes alimentaires.
L’alimentation est également interdépendante de l’environnement et des sociétés. Cette interdépendance fonctionne dans les deux sens : tout comme l’environnement influence les choix alimentaires, la façon dont les sociétés produisent, transforment, distribuent et manipulent les aliments a une incidence sur l’environnement et les ressources naturelles. Les paysages, les écosystèmes et le milieu environnant jouent un rôle dans le type de produits cultivés et d’animaux élevés. Par ailleurs, la fonctionnalité des chaînes d’approvisionnement, du commerce et des marchés influence les types d’aliments auxquels les populations ont accès et, pour de nombreux pays, cela contribue considérablement à la croissance économique.
Pourquoi les gens font-ils des choix en ce qui concerne leur alimentation ?
En ce qui concerne leurs aliments et leur alimentation, les individus font différents choix pour différentes raisons, mais certains ont plus de choix et disposent de plus de ressources pour faire ces choix. Certains ont un large éventail de choix alors que d’autres en ont très peu. Entre l’argent, l’accessibilité ou les valeurs, les gens donnent la priorité à différentes choses lorsqu’ils décident quoi manger et du meilleur moyen d’interagir avec les aliments. Pour comprendre, en partie, pourquoi les gens font certains choix alimentaires, il faut donc connaître les ressources, les contraintes et les aspirations qui influencent ces choix, mais aussi l’environnement bâti et alimentaire immédiat dans lequel les gens vivent et achètent leurs aliments, ainsi que leur influence sur le choix de ces aliments.
En s’adaptant à l’environnement dans lequel ils vivent, les gens sont limités à certains choix alimentaires déterminés par l’approvisionnement. En fin de compte, ces choix dépendent des produits disponibles et de leur facilité d’accès. L’accessibilité, le prix, le goût et la commodité sont autant d’aspects qui ont une influence sur la consommation alimentaire de différentes personnes. Les marques, les certifications, la publicité et la commercialisation ont également leur importance et peuvent influencer le choix.
Les facteurs ayant une incidence sur les régimes alimentaires dépendent en grande partie des revenus des ménages et du niveau de développement des pays. L’alimentation des populations rurales peut également être très différente de celle des populations urbaines car la distribution et la disponibilité des produits alimentaires changent considérablement avec la géographie. Les pays comptant de grandes villes ont un meilleur accès aux aliments, ce qui donne aux habitants un plus large éventail de choix alimentaires mais, en même temps, les expose plus à des aliments à forte teneur énergétique contenant relativement peu de nutriments.
Les coutumes et les croyances, mais aussi les connaissances en matière d’aliments et de nutrition, ont une influence sur ce que les gens choisissent de manger. L’évolution des normes sociales et les médias peuvent avoir une incidence sur les achats de produits alimentaires. Ces types d’exposition montrent que les gens ne sont pas seulement un produit de ce qu’ils choisissent de manger ; ils sont aussi impactés par la société et les tendances culturelles.
Comment l’alimentation change-t-elle ?
Au cours des dernières décennies, dans les pays à revenus faibles ou moyens (PRFM), l’alimentation a changé de manière positive et négative. Côté positif, l’alimentation s’est diversifiée en fonction de l’approvisionnement. La diversité de l’alimentation est associée à une amélioration de sa qualité car elle multiplie les sources de vitamines, de minéraux et de macronutriments qui alimentent et protègent le corps humain et lui assurent une santé optimale.
Il y a d’autres tendances positives. La consommation d’acides gras trans, acide gras industriels mauvais pour la santé, a diminué dans certaines régions du monde. Une tendance a à la fois des implications positives et négatives : au cours des deux dernières décennies, dans de nombreux pays à revenus faibles ou moyens d’Amérique latine, par exemple, les gens sortent plus souvent manger au restaurant.
Côté négatif, les gens consomment plus d’aliments transformés et emballés, tels que les cookies, chips, crackers et friandises, à la préparation desquels on ajoute beaucoup de sucre, de sodium et de graisses mauvaises pour la santé, et qui contiennent peu de fibres alimentaires et de nutriments. Ces types de produits représentent actuellement une part importante de l’alimentation partout dans le monde car il est facile de s’en procurer, ils sont bon marché et font l’objet d’une commercialisation intensive.
Dans de nombreux pays d’Asie et d’Afrique à revenus moyens-supérieurs et moyens-inférieurs, on a constaté une importante progression des ventes d’aliments préemballés au cours des 20 dernières années. En plus des aliments, les boissons consommées peuvent également être à l’origine d’inquiétudes pour la santé. Alors que les ventes de boissons à forte teneur en sucre ajouté sont plus importantes dans les pays à revenus élevés, elles augmentent considérablement depuis une dizaine d’années dans de nombreux pays à faibles revenus et à revenus moyens-inférieurs. Un lien a été établi entre ces aliments très transformés et ces boissons sucrées et des problèmes de santé tels que la surcharge pondérale, l’obésité, le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires.
La demande d’aliments d’origine animale augmente également dans de nombreuses régions du monde, mais les types d’aliments et de produits d’origine animale en question varient en fonction de la géographie, de la culture et des croyances religieuses, pour ne citer que quelques-uns des facteurs influents. La consommation de viandes transformées (salées et affinées) a également augmenté dans toutes les régions du monde. Les aliments d’origine animale sont généralement riches en nutriments essentiels bons pour la santé et la nutrition, mais certains sont associés à un risque accru de maladies cardiovasculaires et de cancer. Par ailleurs, la production de certains aliments de source animale a un impact négatif sur l’environnement lorsqu’ils sont consommés et produits en grande quantité.
Pourquoi les régimes alimentaires changent-ils ?
En raison de l’urbanisation, de la mondialisation et de la libéralisation des échanges, les systèmes alimentaires sont plus interconnectés et dépendent de chaînes d’approvisionnement de plus en plus longues et complexes faisant appel à de nombreux acteurs différents qui interviennent aux multiples maillons de ces chaînes. Les systèmes alimentaires connectés offrent aux consommateurs la possibilité d’accéder à des aliments variés tout au long de l’année, ce qui élargit le choix dont ils disposent et les protège contre les pénuries saisonnières.
L’efficacité est la devise du système alimentaire mondial : au cours des 50 dernières années, l’approvisionnement alimentaire a augmenté en termes de quantité et de qualité et la plupart des pays ont accru la teneur énergétique, protéinique, lipidique et le poids des aliments consommés. Mais pendant cette période, la composition des approvisionnements alimentaires s’est uniformisée et certains aliments indigènes et locaux ont été négligés et marginalisés.
Le commerce est et continuera d’être important pour la diversité de l’alimentation en ceci qu’il augmente la disponibilité de différentes types d’aliments, prolonge le nombre de jours pendant lesquels les produits alimentaires sont disponibles et influence leur abordabilité. Si le commerce fait circuler de nombreux types différents d’aliments à travers le monde, il le fait parfois aux dépens des producteurs locaux et des systèmes alimentaires traditionnels. De plus, lorsque des produits alimentaires et des boissons telles que les boissons sucrées et les produits très transformés deviennent moins chers, les conséquences peuvent être néfastes pour la santé humaine.
La mondialisation détermine les contextes alimentaires – les environnements, opportunités et conditions physiques, économiques, politiques et socioculturels qui influencent les comportements quotidiens et définissent les préférences et les choix alimentaires des consommateurs – notamment grâce à l’expansion des supermarchés et des hypermarchés. La multiplication accélérée des supermarchés et des chaînes de restauration rapide dans tous les pays du monde influence le comportement des consommateurs et les habitudes alimentaires.
Alors que la « révolution des supermarchés » offre aux consommateurs un plus large éventail de produits moins chers que chez les détaillants traditionnels, elle peut également encourager des changements organisationnels considérables sur l’ensemble de la chaîne alimentaire. De plus, cette révolution retire une partie du pouvoir, et notamment du pouvoir décisionnel, qu’avaient les agriculteurs et les producteurs, au profit des négociants et des détaillants, et une partie de celui du gouvernement au profit du secteur privé et des multinationales.
Le prix des aliments modifie également les habitudes alimentaires. Les changements imprévisibles des prix ont une incidence considérable sur les pauvres car ceux-ci consacrent une plus forte proportion – de 50 à 80 pour cent – de leurs revenus à l’alimentation. Les populations pauvres, notamment celles qui vivent en milieu rural, n’ont souvent accès qu’à une alimentation à base de céréales, de racines et de tubercules et ont rarement les moyens de s’offrir des aliments d’origine animale, des fruits et des légumes.
Grâce à l’augmentation des revenus, les consommateurs peuvent diversifier leur alimentation et manger moins de produits de base et plus de fruits, de légumes, d’aliments d’origine animale et de produits laitiers, ainsi que plus d’huile et d’aliments transformés et préemballés. La sensibilisation des consommateurs peut également créer une demande pour certains types d’aliments, y compris certaines marques, normes de sécurité des aliments et même pour des aliments de meilleure qualité répondant à certains critères sanitaires et environnementaux.
Pourquoi les changements de régime alimentaire sont-ils nécessaires ?
L’alimentation étant aujourd’hui un important facteur de risque de morbidité et de mortalité dans le monde, il faut s’assurer que la population mondiale a accès à une alimentation saine et abordable. Les futures transitions alimentaires devraient avoir un impact négatif sur la santé humaine, notamment dans les pays à revenus moyens-inférieurs où l’alimentation change le plus rapidement. L’accroissement de la consommation de fruits, légumes, fruits à coque, graines, légumineuses et céréales complètes améliorerait la santé humaine dans toutes les régions du monde.
Parallèlement, si on veut sérieusement s’attaquer au problème du changement climatique, l’alimentation doit être plus écologiquement durable. D’ici à 2050, à l’échelle mondiale, les émissions de gaz à effet de serre dues à la production alimentaire devraient augmenter de 50 à 80 pour cent en raison de la croissance démographique et de l’évolution des habitudes alimentaires. Il faudra augmenter la superficie des terres cultivées pour faire face aux changements d’habitudes alimentaires d’une population humaine croissante, ce qui entraînera une augmentation des émissions de gaz à effet de serre dues à la déforestation et aux pertes de biodiversité et, potentiellement, une augmentation des difficultés en Afrique sub-saharienne. Du point de vue de l’alimentation, la réduction de la consommation de viande rouge provenant de ruminants, notamment dans les régions où la consommation de ce produit est supérieure aux recommandations des nutritionnistes, présenterait potentiellement d’importants avantages pour la santé et l’environnement.
Les choix faits par les pays à revenus élevés quant à la façon de produire les aliments et quant aux choix alimentaires des consommateurs auront des conséquences plus graves sur les populations des pays à faibles revenus qui n’ont pas les moyens de s’adapter rapidement aux changements environnementaux dus à l’évolution des systèmes alimentaires. Ces populations ont également moins de possibilités d’accéder à une alimentation saine et abordable.
Dans la prochaine décennie, il faudra faire tout ce qu’on peut pour apporter des changements généralisés, à grande échelle. Les gouvernements, les entreprises et la société civile ont tous la responsabilité de s’assurer que chacun aura accès à une alimentation saine et équitable, offrant le plus d’avantages pour la santé humaine et celle de la planète.
Jessica Fanzo, professeure distinguée Bloomberg à l’université Johns Hopkins, Baltimore, États-Unis ; elle est également rédactrice en chef de la revue Global Food Security.
Isabella Sarria est étudiante à l’université Johns Hopkins où elle s’est spécialisée dans les études de santé publique.
Contact : jfanzo1@jhu.edu
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