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Les femmes – un potentiel non exploité pour la sécurité alimentaire
Par définition, l’agriculture familiale est un moyen d’organiser la production agricole, sylvicole, halieutique, pastorale et aquacole. Elle est gérée et réalisée par une famille et dépend essentiellement d’une main-d’œuvre familiale non salariée assurée par les femmes, les hommes et les enfants qui travaillent ensemble dans l’exploitation familiale. Selon ce concept, la famille et l’exploitation agricole sont étroitement liées, co-évoluent et associent des fonctions économiques, environnementales, reproductives, sociales et culturelles. Dans la majeure partie de l’Afrique et de l’Asie du Sud, les petites exploitations agricoles gérées par la famille assurent encore la part la plus importante de la production agricole.
Dans ces systèmes de petits exploitants agricoles, le rôle des femmes est particulièrement remarquable dans la mesure où ce sont elles qui assurent la majeure partie de la main-d’œuvre agricole. Elles produisent essentiellement de quoi nourrir le ménage et vendre sur les marchés locaux, alors que les hommes ont plus souvent un travail salarié ou produisent des cultures de rente. Malgré le rôle primordial des femmes dans la petite agriculture, elles restent de bien des façons victimes d’inégalités de genre. Par exemple, elles ont moins accès aux ressources, services et biens de production, et leur contribution vitale aux activités de l’exploitation familiale est encore souvent ignorée. Par conséquent, un des principaux objectifs de l’Année internationale de l’agriculture familiale est de lutter contre l’inégalité des genres et reconnaître les droits des femmes et le rôle qu’elles jouent dans l’agriculture familiale (voir également l’article « Les exploitations agricoles familiales jouent un rôle clé dans l’alimentation de la population mondiale »).
Pour cette raison, l’article suivant donne un aperçu des tâches, problèmes et responsabilités des femmes dans les exploitations agricoles familiales de l’hémisphère Sud. Il illustre par ailleurs les conséquences négatives d’une politique sexiste et ses effets sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Il présente également des méthodes et approches concluantes tenant compte de la dimension de genre et testées sur le terrain dans divers programmes de développement rural mis en œuvre par la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) pour le compte du ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ).
Rien ne fonctionne sans les femmes : un large éventail de responsabilités essentielles
Dans les pays en développement, la répartition du travail selon le genre attribue aux femmes diverses tâches dans différents domaines (petite agriculture, élevage de bétail et travaux ménagers) si bien qu’elles sont chargées de répondre à des besoins fondamentaux et d’assurer la survie de la famille. Par ailleurs, ce sont elles qui cuisinent les aliments et passent au total environ 40 milliards d’heures à aller puiser de l’eau.
Les femmes assument d’importantes activités dans le domaine de la production alimentaire pour la famille. Ces activités vont de la gestion des semences à la culture de produits agricoles, au stockage, à la transformation et à la commercialisation de certains produits. Dans les petites exploitations agricoles pratiquant une économie de subsistance, leur rôle est particulièrement important dans la mesure où les hommes s’intéressent plus à la production marchande. En ce qui concerne l’élevage, les femmes s’occupent surtout de la volaille et du petit bétail. Elles nourrissent les animaux, assurent la traite, nettoient les poulaillers, les étables et les porcheries, et assurent le compostage du fumier. C’est à elles de veiller à la bonne santé des animaux et de transformer les œufs, le lait et la laine. Ce sont également elles qui font le ménage et s’occupent du jardin potager, ce dernier assurant souvent l’alimentation de la famille lorsque les récoltes sont mauvaises.
Les femmes assurent ainsi la nutrition saine et diversifiée de leur famille et contribuent à faire face aux difficultés et à améliorer la résilience de la famille. Elles sont également très actives dans le secteur de la pêche. En Asie et en Afrique occidentale, jusqu’à 80 pour cent des poissons et mollusques pêchés sont commercialisés par les femmes. Comme on le voit, les femmes jouent un rôle important dans les exploitations agricoles familiales du monde entier. De plus, elles sont des acteurs clés des stratégies de survie et de réduction des risques pour les ménages. Compte tenu de la pertinence et de la diversité de leurs activités, les femmes sont dépositaires de connaissances dans le domaine de l’utilisation durable des ressources naturelles, des stratégies d’adaptation au changement climatique et de l’agro-biodiversité. Malgré cela, le travail effectué par les femmes n’est généralement pas rémunéré et souvent elles ne peuvent avoir un revenu qu’en vendant l’excédent de la production agricole.
Quelques réalités à connaître sur les femmes vivant en milieu rural
- Actuellement, environ 842 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde, notamment en Asie et en Afrique subsaharienne. Soixante pour cent d’entre elles sont des femmes et des filles.
- Les femmes contribuent considérablement à l’agriculture familiale.
- Les femmes représentent en moyenne 40 pour cent de la main-d’œuvre agricole. Cette proportion varie de 20 pour cent en Amérique latine à 50 pour cent en Asie de l’Est et en Afrique sub-saharienne, et dans certains pays d’Afrique occidentale elle peut atteindre 80 pour cent.
- Les agricultrices ne bénéficient que d’environ cinq pour cent des services de vulgarisation agricole. Souvent, les sujets présentant un intérêt pour les femmes ne leur sont présentés (de façon insuffisante) que par des conseillers masculins ; il y a peu de conseillères.
- Les femmes ne bénéficient qu’à hauteur de 10 pour cent du soutien financier accordé à l’agriculture, la sylviculture et la pêche.
Tirer parti du potentiel
Dans de nombreuses régions, les guerres et les conflits, la maladie, le VIH/SIDA et la migration croissante des hommes vers les zones urbaines ou vers l’étranger tendent à féminiser l’agriculture, les femmes assumant seules la responsabilité de la production et de la gestion du ménage. Alors que l’absence des hommes rend plus apparents les efforts des femmes, un nombre croissant d’entre elles doit assumer des tâches supplémentaires.
Malgré le rôle clé qu’elles jouent dans l’agriculture familiale, les femmes n’ont aucun accès et n’exercent aucun contrôle (ou alors cet accès et ce contrôle sont très limités) aux ressources de production telles que la terre, le bétail et l’eau. Les femmes n’ont pas accès à l’information, aux connaissances et aux intrants (engrais, semences ou services financiers) et sont confrontées à des contraintes de mobilité dans de nombreuses régions. Dans les pays en développement, 80 pour cent des denrées de base sont produites par les femmes alors qu’elles ne possèdent en moyenne que dix pour cent des terres cultivées. Par exemple, en Afrique subsaharienne, 85 pour cent des propriétaires fonciers sont des hommes en raison des obstacles juridiques et culturels dus aux modalités d’héritage. Au Mali, les femmes ne possèdent que cinq pour cent des terres cultivables. Souvent, les terres ne sont enregistrées que sous le nom de l’homme, même lorsque c’est sa femme qui les a achetées, en a hérité ou les a apportées en dote de mariage. De plus, diverses études montrent qu’en cas de crise ou à la suite de catastrophes naturelles, le nombre de femmes désavantagées augmente. Les femmes sont les plus touchées par les chocs et les crises et elles sont les premières à se passer de manger pour le bien de leur famille.
Du fait de ces inégalités et des différences de traitement entre les hommes et les femmes, les petites exploitantes agricoles produisent de 20 à 30 pour cent de moins par unité de surface que leurs homologues masculins. Ainsi, le potentiel de l’exploitation familiale n’est pas exploité au mieux des possibilités. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estime que les femmes pourraient améliorer leurs rendements dans les mêmes proportions (20 à 30 pour cent) si elles avaient un accès égal aux ressources de production, aux intrants, à l’information et aux services. Globalement, la production agricole dans les pays en développement pourrait augmenter de quatre pour cent et le nombre de personnes souffrant de la faim pourrait diminuer de 100 à 150 millions. Par ailleurs, l’expérience montre que pour les femmes, le fait d’avoir un revenu propre, de posséder leurs terres et de maîtriser leurs ressources financières a une incidence positive directe sur la nutrition, la santé et l’éducation de leurs enfants. Par conséquent, la réduction des inégalités entre les genres (plus forte participation des femmes, soutien accru aux femmes productrices, accès à la propriété, aux intrants, aux services et à l’information, élimination des discriminations de genre d’origine structurelle et culturelle) est un des facteurs les plus importants de la sécurité alimentaire.
Des approches plus efficaces pour mieux tirer parti des opportunités
La GIZ applique un large éventail de mesures de promotion des femmes et d’intégration de la dimension de genre visant à éliminer les obstacles au développement conditionnés par le genre dans les zones rurales. Les exemples suivants explicitent cette démarche.
Le développement des capacités comme solution clé au développement rural équitable aide les femmes à accéder plus facilement aux ressources naturelles et autres moyens de production et à les contrôler plus efficacement. Une formation spécifique et l’intégration des femmes dans des organisations rurales sont des initiatives particulièrement efficaces. La GIZ soutient cette approche dans le territoire de Fizi en République démocratique du Congo. En plus de se familiariser avec des méthodes d’amélioration de la production agricole, les femmes sont formées à l’organisation et la gestion de groupes de la société civile et de producteurs dans le but de renforcer leur rôle et leur confiance dans la famille et dans les structures décisionnelles locales. Les hommes des villages et les autorités locales sont sensibilisés à l’amélioration de la répartition des travaux dans la famille, ce qui accroît la protection des femmes et leur donne la possibilité d’avoir leur propre revenu. Les services locaux ont été relancés et donnent des conseils à l’ensemble de la famille, hommes et femmes, sur la culture moderne. Grâce à la vente des surplus de produits des champs sur les marchés locaux, les femmes et leur famille bénéficient d’un revenu supplémentaire. Les comités de village, soutenus ou nouvellement créés par le projet, prononcent des arbitrages en cas de conflit, généralement sur des questions de droits fonciers. Avec les autorités traditionnelles et en coopération avec les juges et les avocats, le droit traditionnel est en cours de révision et s’aligne avec le droit national pour soutenir l’accès des femmes aux terres.
La GIZ s’appuie sur des conseils en matière d’élaboration de politiques pour créer un environnement politique et institutionnel favorable aux femmes dans le secteur formel et informel de l’agriculture. L’expérience montre qu’un cadre politique et juridique approprié est indispensable pour assurer aux femmes un accès équitable aux ressources et moyens de production et leur permettre de les contrôler. Au Népal, le taux de transactions foncières officielles et enregistrées au profit de femmes a été multiplié par trois grâce à un système spécial d’incitation en matière d’impôt foncier, système selon lequel une exemption fiscale de dix pour cent était accordée pour toute terre enregistrée au nom d’une femme.
La garantie et l’institutionnalisation d’une participation égale et équilibrée de femmes et d’hommes dans tous les comités administratifs et décisionnels est un autre facteur de réussite. Le fait d’être sur un même pied d’égalité dans les processus décisionnels facilite l’accès des femmes aux ressources et aux facteurs de production tels que la terre, l’eau, les capitaux et les marchés. C’est par exemple ce qui a été constaté au Burkina Faso au niveau de la pêche dans les eaux intérieures. Dans ce domaine, la participation ciblée des femmes selon des approches de gestion participative dans l’ensemble de la filière « poisson » a considérablement accru les revenus familiaux et la sécurité alimentaire des ménages.
Dans les zones rurales, assurer la transparence et sensibiliser la population aux déséquilibres de genre est une autre étape nécessaire. Pour cela, on fera appel à des acteurs clés tels que les chefs de village, les anciens et les chefs spirituels. C’est ainsi que dans le cadre d’un projet commun de la GIZ et d’Oxfam au Nicaragua, les hommes ont été sensibilisés à l’importance de la contribution des femmes dans l’industrie laitière. Lors d’une série de réunions organisées par des spécialistes des questions de genre, les participants au projet ont examiné les différents rôles des femmes et des hommes. Les sessions ont porté sur les exigences de qualité et sur la répartition des tâches, ainsi que sur les services offerts par la coopérative aux femmes et aux hommes, et elles ont offert une formation sur les aptitudes de communication entre le mari et son épouse dans le but de promouvoir les prises de décisions conjointes. En modifiant leurs règlements, les deux coopératives participant au projet ont facilité l’adhésion des femmes, si bien que leur proportion est passée de huit à 43 pour cent. De plus, les femmes ont commencé à formuler plus clairement leurs besoins et exigences et ont demandé des services spécifiques. Après avoir pris conscience du rôle clé joué par les femmes, les donneurs ont commencé à réorienter leurs stratégies et à affecter plus de ressources financières aux femmes.
Conclusions
Un développement rural durable contribuant à la sécurité alimentaire et nutritionnelle et à la réduction de la pauvreté doit bien tenir compte des rôles et responsabilités des femmes dans les zones rurales et de la nécessité de leur offrir un soutien suffisant. Dans les exploitations agricoles familiales, les femmes contribuent considérablement à la production alimentaire et améliorent ainsi grandement la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans les zones rurales. Toutefois, un potentiel considérable n’est toujours pas exploité. Par conséquent, les approches et mesures de développement rural doivent clairement tenir compte de cette réalité et doivent plus axer leurs activités sur le soutien des femmes et la réduction des inégalités entre les genres. C’est là une condition préalable à la réduction de la faim, au renforcement des moyens de subsistance des populations rurales et à l’amélioration durable des conditions de vie dans les zones rurales. L’Année internationale de l’agriculture familiale est le moment idéal pour souligner le rôle des femmes dans l’agriculture familiale, pour sensibiliser la population et passer à l’action.
Nadine Guenther
nadine.guenther@giz.de
Christel Weller-Molongua
Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH
Eschborn, Allemagne
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