Un outil GPS contribue à optimiser les semis de riz.
Photo: Jörg Böthling

Exploiter le potentiel du numérique dans les zones rurales

Les technologies de l’information et de la communication ont considérablement progressé depuis le début du millénaire. Elles présentent un potentiel considérable pour les zones rurales et de nouvelles applications Internet telles que « l’Internet des objets » et les mégadonnées (Big Data) sont prêtes à élargir le champ des possibilités. Toutefois, les auteurs font valoir que la marge de progression est encore considérable, notamment en regroupant de nombreuses initiatives TI sur des plateformes conviviales à l’intention des agriculteurs et d’autres petites entreprises rurales.

Dès le début des années 2000, à la veille du décollage rapide du téléphone portable, nos travaux avaient identifié le potentiel des technologies de l’information et de la communication pour réduire la pauvreté dans les pays en développement. Parallèlement, la téléphonie mobile était devenue largement accessible grâce à des services de location de téléphones qui, pour être jeunes, n’en connaissaient pas moins un développement rapide, par exemple au Bangladesh et, dans certains cas, en Afrique. Les planificateurs du développement se montraient sceptiques quant aux TIC. Les choses ont bien changé depuis et les TIC ont évolué bien au-delà de ce qu’on pouvait imaginer à l’époque. Aujourd’hui, nous pouvons dire sans risque de nous tromper que la technologie numérique va changer la donne en matière de développement inclusif et de changement positif du monde rural.

Les technologies mobiles évoluées au service de l’Afrique rurale

Aujourd’hui, les technologies mobiles sont utilisées pour offrir des services aux agriculteurs qui cherchent à accéder plus facilement aux intrants, aux services financiers et aux marchés, pour recueillir et diffuser des informations et pour faciliter l’apprentissage et les échanges sociaux. Les retombées sont considérables. Ainsi, les agriculteurs sont mieux informés des débouchés commerciaux, par exemple en Éthiopie, grâce à des tableaux d’affichage numérique utilisés dans 29 centres régionaux de la bourse de marchandises ou à la disponibilité de services de SMS dans de nombreux pays africains. Il est plus facile de surveiller les risques climatiques et de pénurie alimentaire et d’y faire face grâce à des informations fournies par une foule d’utilisateurs. Côté consommation, les technologies numériques pourraient bientôt faciliter la fourniture d’informations ciblées sur la malnutrition, à l’intention des mères dans le besoin.

Mais le potentiel transformateur des technologies mobiles ne tient pas à ce qui est disponible aujourd’hui. La plupart des services actuellement offerts en Afrique dépendent encore des SMS et des systèmes vocaux pour répondre aux besoins téléphoniques de base, ce qui limite la sophistication des services pouvant être offerts et laisse peu de place à l’interaction. On ne pourra véritablement tirer profit de ce potentiel qu’en utilisant de nouvelles technologies mobiles actuellement émergeantes. Les gens vont de plus en plus disposer d’un large éventail d’appareils abordables pour remplacer les simples combinés téléphoniques qui prédominent dans le paysage de la téléphonie mobile de l’Afrique rurale. L’arrivée des smartphones offre un nouvel éventail de services à leurs utilisateurs. Ces appareils offrent des contenus et des fonctions plus complexes, accessibles via des interfaces pouvant également être utilisées par des agriculteurs illettrés.

Parallèlement, la nature même d’Internet évolue. Ce qu’on appelle « l’Internet des objets » permet de connecter divers appareils au réseau mobile qui peut collecter d’énormes quantités de données – les mégadonnées – qu’il est possible d’analyser au moyen de technologies disponibles sur Internet (sur le « cloud »). Les résultats de ces analyses peuvent faciliter les prises de décisions, par exemple en matière de gestion de champs spécifiques à un site ou de gestion de la chaîne d’approvisionnement, ou déclencher la réaction d’autres appareils liés au réseau, par ex. pour l’irrigation et l’application d’engrais. La collecte de données peut également tirer parti du vaste (et de plus en plus vaste) réseau d’utilisateurs, grâce aux appareils portables individuels pouvant fournir des informations venant de tout un chacun et faciliter la diffusion et l’échange d’informations et de connaissances. Ces améliorations vont fondamentalement transformer les coûts de transaction qui sont la cause principale du prix élevé de participation au marché en Afrique rurale. À condition que l’infrastructure routière et ferroviaire s’améliore parallèlement, les possibilités des petits exploitants agricoles et des petites entreprises rurales vont s’élargir.

Ces technologies peuvent aujourd’hui paraître irréalistes pour l’Afrique rurale, mais des exemples témoignent des changements en cours. Au Kenya, les systèmes Agrimanagr et Distributor de Virtual City utilisent des appareils portables pour collecter des données sur le poids et le lieu des produits livrés par les agriculteurs et suivent ces produits tout le long de la chaîne jusqu’à l’usine de transformation. Au Kenya, encore, la compagnie ACRE utilise les données fournies par les stations météorologiques et des systèmes de télédétection pour déclencher l’indemnisation des assurés par téléphone portable en cas d’épisodes météorologiques graves. Au Nigeria, le service Hello Tractor, de type Uber, permet aux agriculteurs de partager l’utilisation de tracteurs grâce à une application mobile ; ce système fonctionne déjà bien en Inde.  Le prix des appareils utilisés pour ces services (smartphones, tablettes ou détecteurs) baisse, notamment grâce aux capacités croissantes de fabrication des économies émergentes.

Examen objectif

Malgré la rapidité des avancées techniques et les possibilités de prestation de services qui en découlent, il nous faut bien reconnaître que la majeure partie du potentiel offert ne s’exprimera que plus tard. Nos travaux montrent que la plupart des initiatives existantes dépendent toujours d’un soutien financier externe, ont une portée restreinte, sont souvent des copies et ont un impact limité (voir également l’article « Comment la révolution numérique peut-elle profiter aux petits exploitants agricoles ?  » ). De fait, dans la communauté des TIC au service du développement (ICT4D), l’euphorie initiale a fait place à un scepticisme et un réalisme constructifs. Les principales raisons sont les suivantes. 

Les très nombreuses petites initiatives ont tendance à être décousues et très variées quant à leur utilité. En conséquence, les utilisateurs ont du mal à accéder à différents types de services avec leur appareil portable, alors que ces services pourraient être complémentaires. Pour offrir des solutions intégrées aux agriculteurs, trop peu de prestataires de services ont commencé à associer plusieurs fonctions en un même service, à l’exemple de l’outil de gestion agroalimentaire mfarms en Afrique de l’Ouest.

De nombreuses initiatives n’ont aucun lien avec les prestataires d’informations agricoles et autres acteurs économiques des réseaux de valeur. L’expertise est souvent insuffisamment prise en compte lors de l’élaboration et de l’utilisation du service, qui est souvent axé sur une seule gamme de produits et insuffisamment adapté aux conditions locales des systèmes agricoles variés de l’Afrique. On semble laisser peu de place à la collecte d’informations sur les besoins des utilisateurs et au retour d’informations auprès de ces derniers une fois que le service est opérationnel.

Les solutions mobiles sont élaborées sans tenir suffisamment compte des capacités des utilisateurs et du contexte dans lequel elles sont fournies. Trop souvent, ce n’est pas le problème qui détermine le choix de la solution et du moyen d’utilisation ; c’est la technologie qui s’impose aux services.

En conséquence, de nombreux services ont une portée limitée car des contraintes externes les empêchent d’être pleinement utiles, contraintes dont il n’a pas été suffisamment tenu compte dans la stratégie de conception et de commercialisation.

Plateformes TIC – vers une intégration efficace des services mobiles et des utilisateurs

Pour faire face à ces contraintes, il faut mettre en place des plateformes TIC globales destinées à héberger, connecter et adapter les applications individuelles dispersées. Similaire à un « app store », cette plateforme permettrait aux agriculteurs, autres entreprises et commerçants, de trouver facilement différents types de services et d’y accéder, non moins facilement, par une même interface. Certaines fonctions permettraient aux utilisateurs de faire des commentaires sur le service, pour suggérer des améliorations et stimuler la concurrence entre les prestataires de services similaires. D’autre part, des prestataires pourraient continuer de se spécialiser dans un certain domaine et tirer parti d’un accès à un grand nombre de clients potentiels, ce qui faciliterait la commercialisation et inciterait à développer de nouvelles applications TIC.  Il faudrait que la plateforme soit modulaire de manière à pouvoir répondre à différentes capacités en matière de technologie et de ressources humaines. Ainsi, alors que les agriculteurs seraient directement ciblés par des services de faible technologie, il serait également possible de les atteindre et de les faire profiter indirectement des services, par l’intermédiaire d’organisations d’agriculteurs ou de coopératives, par exemple. L’investissement dans la mise en place de telles plateformes TIC est un domaine clé dans lequel les agences de développement et des initiatives innovantes du secteur privé doivent joindre leurs forces pour réellement libérer le potentiel du numérique en milieu rural.

Joachim von Braun
Directeur
Heike Baumüller
Chercheuse senior
Centre de recherche pour le développement (ZEF)
Université de Bonn, Allemagne
jvonbraun@uni-bonn.de
hbaumueller@unibonn.de
 

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