Effets des politiques de sédentarisation
Par Rodrigue V. Cao Diogo, Allogbénou S. Frimence Tossou et Saliou Adedigba
La sédentarisation désigne la transition d'un mode de vie nomade ou transhumant vers un mode de vie plus sédentaire. Ce processus a suscité un intérêt particulier en Afrique de l'Ouest en raison de ses répercussions sur la production agricole, la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté.
Ces dernières années, les gouvernements ouest-africains ont mis en place diverses politiques visant à encourager la sédentarisation des troupeaux pour plusieurs raisons. Ces initiatives s'appuient notamment sur l'idée, héritée de l'administration coloniale et des gouvernements africains, que le mode de vie pastoral est souvent jugé incompatible avec l'agriculture et les normes d'une société « civilisée ».
Malheureusement, cette vision réductrice persiste : les autorités nationales tendent à percevoir le mode de vie des petits éleveurs pastoraux comme synonyme de pauvreté, associé à des valeurs culturelles perçues comme néfastes pour leur bien-être. Cela pousse les gouvernements à encourager leur réinstallation dans de nouvelles communautés. Or, il est crucial de reconnaître que ce processus peut avoir des répercussions significatives, telles que la privatisation des ressources naturelles et la dégradation de la fertilité des sols dans certaines régions.
De plus, la sédentarisation conduit souvent à la disparition des exploitations agricoles spécialisées dans une seule activité, au profit d'exploitations plus intégrées. Au final, les motivations derrière ces politiques s'avèrent complexes et multidimensionnelles, mêlant des considérations économiques, sociales et culturelles.
Sedentarisation refers to transitioning from nomadic or transhumant mobility to a more settled lifestyle. This has been a topic of interest in West Africa due to its impact on agricultural production, food security and poverty. Recently, West African governments have promoted several policies of livestock herd sedentarisation for several reasons. One of the underlying justifications is that both the colonial administration and the African governments regarded the pastoralist way of life as conflicting with farming and incompatible with the standard of civilised society. In a sadly recurring story, national governments often perceive the lifestyle of small foraging populations as impoverished, with cultural values detrimental to their welfare, leading to resettlement in new communities. However, it’s essential to recognise that this process can have significant consequences, including the privatisation of resources and soil fertility decline in certain regions. The disappearance of specialised single agricultural activity farms and the emergence of integrated farms are also associated with sedentarisation. Overall, the motivations behind these policies are complex and multifaceted, involving economic, social and cultural considerations.
Le cas du Bénin
Dans le nord du Bénin, les élevages bovins sont confrontés à des pénuries alimentaires et à des conflits liés à la gestion des ressources pastorales, notamment les terres. Pour remédier à ces défis, un nouveau code pastoral (loi n° 2018-20 du 23 avril 2019) a été adopté, régulant cette activité tout en promouvant la sédentarisation des troupeaux. En 2021, le Haut-Commissariat à la sédentarisation des éleveurs du Bénin a lancé la mise en œuvre d'une politique visant à « moderniser » les pratiques traditionnelles de transhumance.
Cette politique propose un « modèle unique d'alternatives à la transhumance », avec une mise en place progressive de la sédentarisation. Les éleveurs pastoraux transhumants du Bénin ont commencé à se sédentariser dès les années 1970, partiellement en réponse aux sécheresses et à l’évolution de l'économie politique. Le gouvernement soutient activement ce programme de sédentarisation, qui a été largement adopté par les communautés pastorales peules.
Au Bénin, les politiques de sédentarisation ont été mises en œuvre pour résoudre les conflits entre agriculteurs et éleveurs. Dans le nord du pays, la transhumance et les conflits entre agriculteurs et éleveurs trouvent leurs racines dans les tensions qui règnent entre les communautés en raison des activités d’agriculture et d’élevage pratiquées dans les mêmes zones. Historiquement, les agriculteurs et les éleveurs de l'Afrique de l'Ouest entretenaient des relations symbiotiques. Toutefois, les réformes foncières (propriété, accès et utilisation des terres), la mécanisation de l'agriculture et l'accaparement des terres pastorales ont fragilisé cet équilibre.
La croissance démographique, l'urbanisation et l'industrialisation rapides ont également entraîné une augmentation de la demande de produits agricoles et alimentaires. L'expansion des terres agricoles a réduit les zones de pâturage et de transhumance, mettant en péril les moyens de subsistance des éleveurs pastoraux. Face à ces défis, la résolution des tensions entre agriculteurs et éleveurs s'avère cruciale, tout comme la nécessité de repenser les politiques actuelles.
Bien que la stratégie actuelle favorise la sédentarisation des éleveurs pastoraux, elle manque d’une approche claire et fondée sur des preuves. La politique de sédentarisation du Bénin ambitionne de transformer les pratiques traditionnelles, tout en tenant compte de la complexité des moyens de subsistance des Peuls. Toutefois, pour garantir une résolution durable des conflits, il est indispensable de traiter les causes profondes et de mettre en œuvre des politiques basées sur des données probantes.
Quelles sont les conséquences de ces politiques ?
Les effets des politiques de sédentarisation sur les éleveurs pastoraux et sur leurs communautés sont à la fois positifs et négatifs. Les effets positifs comprennent les éléments suivants :
- Amélioration des moyens de subsistance lorsque la sédentarisation conduit à un meilleur accès aux services (santé, éducation, etc.) et aux opportunités économiques ;
- Gestion durable des ressources, sachant que le pâturage contrôlé permet de réduire la dégradation environnementale et la surexploitation des terres de pâturage ;
- Atténuation des conflits, car la mobilité réduite limite les tensions entre agriculteurs et éleveurs dans certaines régions.
Ces politiques peuvent toutefois avoir des effets négatifs, notamment :
- Perte des moyens de subsistance traditionnels – les éleveurs perdent leur style de vie nomade, leurs pratiques culturelles et leur identité sociale ;
- Problèmes liés à la propriété des terres – la sédentarisation oblige à résoudre les problèmes de propriété des terres, ce qui peut s’avérer complexe ;
- Contraintes sur les ressources – la sédentarisation met à rude épreuve les ressources déjà rares que sont l’eau et les terres de pâturage.
Il est important de maintenir l’équilibre entre ces effets pour garantir la réussite des politiques de sédentarisation.
Comment résoudre les conflits entre éleveurs et agriculteurs ?
Les décideurs politiques peuvent prendre différentes mesures pour lutter contre les effets négatifs de la sédentarisation sur les éleveurs et leurs communautés, notamment :
- Réformes du régime foncier avec, entre autres, la sécurisation des droits fonciers des éleveurs afin de leur permettre d’accéder à des terres et de les gérer efficacement, et approches communautaires pour impliquer les communautés locales dans les décisions de gestion des terres et prévenir les conflits ;
- Diversification des moyens de subsistance avec des formations à des moyens de subsistance alternatifs (agroforesterie, etc.) pour compenser les pertes de revenus, et promotion d’activités à valeur ajoutée liées au bétail (transformation du lait, etc.) ;
- Développement d’infrastructures, notamment d’infrastructures d’eau (puits, forage), pour aider les éleveurs sédentaires, et amélioration de l’accès aux services de santé et d’éducation ;
- Services sociaux et préservation des pratiques culturelles grâce à la promotion d’événements culturels, de festivals et de pratiques traditionnelles, et renforcement des réseaux sociaux pour lutter contre l’isolement ;
- Mécanismes de résolution des conflits pour faciliter le dialogue entre agriculteurs et éleveurs et résoudre les litiges, et mise en place de cadres juridiques clairs en faveur de la résolution des conflits.
Enseignements tirés du Bénin
Au Bénin, la nouvelle législation sur le pastoralisme a entraîné une réduction des zones de transhumance pour l'élevage semi-nomade, tout en augmentant la densité des troupeaux sur les territoires disponibles. Cette pression accrue sur les terres de parcours communales a conduit à des pénuries de fourrage, particulièrement marquées pendant la saison des pluies, lorsque l'accès aux terres devient plus difficile. L’expansion des zones agricoles et l’adoption de nouvelles techniques de culture ont drastiquement réduit les pâturages, exacerbant les tensions entre éleveurs et agriculteurs dans ces régions.
Face à ces évolutions, un important flux de bétail s’est dirigé vers des zones forestières et des territoires moins soumis à la pression agricole. Cette migration a entraîné une diminution de plus de 15 pour cent du nombre de troupeaux de bovins entre 2013 et 2021 dans le nord du pays. Cependant, la mise en œuvre des nouvelles dispositions législatives régulant la transhumance reste difficile pour les éleveurs mobiles, qui subissent une baisse significative de leur production laitière et une perte de poids des animaux.
Le programme de sédentarisation du Bénin (ProSer) recommande de nouvelles stratégies d’exploitation, telles que la culture d’espèces fourragères et la régulation de la mobilité interne des troupeaux. Malgré ces efforts, la production de fourrage peine à se développer au sein des exploitations agricoles, tandis que la dégradation des pâturages persiste, aggravant les conflits entre éleveurs et agriculteurs.
Les véritables obstacles à l’intensification de la production de fourrage sont principalement le manque de terres disponibles et l’accès limité aux semences. Il est donc essentiel de mettre en place des mécanismes visant à lever ces obstacles afin de garantir le succès de la politique de sédentarisation des éleveurs. Une attention particulière doit être portée sur l’amélioration de l’accès aux terres et aux ressources nécessaires pour développer durablement la production fourragère.
Rodrigue V. Cao Diogo est ingénieur agronome spécialisé dans la culture et l’élevage et professeur associé au Bénin. Il possède 15 ans d’expérience dans le secteur de la production végétale et animale et a travaillé sur les problèmes liés aux systèmes alimentaires durables, à la mobilité du bétail, à la production durable, à la sédentarisation du bétail et à l’utilisation durable des terres. Il travaille au laboratoire de recherche sur l’innovation pour le développement agricole et la gestion durable des terres de la Faculté d’agronomie de l’Université de Parakou au Bénin.
Allogbénou S. Frimence Tossou est étudiant en doctorat à l’école des Sciences agronomiques et de l’eau de l’Université de Parakou. Il est titulaire d’un master en sciences et techniques de production animale et étudie actuellement l’impact potentiel de scénarios d’utilisation durable des terres sur la gestion de la biodiversité des terres de parcours, les services écosystémiques et la production animale dans le nord du Bénin.
Saliou Adedigba est titulaire d’un doctorat en zootechnie et systèmes de production obtenu à l’école des Sciences agronomiques et de l’eau de l’Université de Parakou. Il possède une large expertise de l’intensification durable des élevages familiaux et a travaillé à l’amélioration durable de la productivité du lait dans les élevages familiaux en favorisant l’intensification de la production de fourrage dans le nord du Bénin.
Contact: rodrigue.diogo@fa-up.bj
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