En raison de la pandémie de COVID-19, les recettes tirées du tourisme animalier en Afrique se sont effondrées.
Photo: Silvia Richter

De nouveaux modèles de financement de la conservation sont nécessaires

Les impacts du changement climatique se faisant déjà ressentir, la conservation des aires protégées n’est plus un vœu pieux, c’est une priorité. L’écotourisme est un important soutien des efforts de conservation mondiaux. Toutefois, la pandémie de COVID-19 a révélé la vulnérabilité de cette approche de la conservation. Nous devons par conséquent trouver de toute urgence de nouveaux moyens innovants de valoriser notre capital naturel. Un examen de la crise de la conservation en Afrique et un plaidoyer pour un engagement mondial.

L’Afrique compte 1 967 sites de biodiversité principaux avec 7 800 aires protégées terrestres abritant les espèces les plus abondantes et variées de gros mammifères du monde. Elle possède également la deuxième plus grande forêt tropicale du monde, le Bassin du Congo, en Afrique centrale, qui abrite une majeure partie des actifs naturels terrestres de la planète, et notamment une importante biodiversité et des services écosystémiques essentielles offrant, entre autres, des niveaux élevés de séquestration et de stockage du carbone.

Notre capital naturel est notre plus grande richesse et il est grandement soutenu par l’écotourisme. Mais ce fragile modèle économique peut facilement être perturbé, comme les deux dernières années l’ont montré.

Le tourisme animalier et les efforts de conservation sont gravement touchés

La pandémie de COVID-19 a eu de graves conséquences sur les efforts de conservation en Afrique car le ralentissement économique a été catastrophique dans le monde entier. Certaines retombées ont été tragiques. Par exemple, douze gardes forestiers chargés de protéger les gorilles de montagne dans le parc national des Virunga, République démocratique du Congo (RDC), ont été assassinés.

Sur l’ensemble de l’Afrique, des millions d’emplois ont été perdus à la suite de la fermeture des loges et des réserves naturelles, ainsi que de celle des frontières nationales, et la reprise prendra du temps. Les restrictions de voyage ont certes freiné le commerce illégal, mais la mise à pied des gardes forestiers expose les aires de protection à un risque accru de braconnage et dès que les frontières rouvriront, il est probable que le commerce illégal repartira de plus bel.  

Avant mars 2019, en Afrique, le tourisme animalier employait 3,6 millions de personnes et générait annuellement des recettes estimées à 29 milliards USD et servant en grande partie à financer la conservation. Dès avril 2020, 99 pour cent des touristes avaient annulé leur voyage et la plupart ne sont toujours pas revenus, privant le continent des droits d’entrée dans les parcs et des milliards de dollars dépensés pour l’hébergement, les services, la vente au détail, etc. Les réserves ont été laissées pour compte, incapables de payer leur personnel en charge des services essentiels de conservation.

La plupart des aires protégées appartiennent à l’État et sont gérées par les pouvoirs publics, mais on compte de plus en plus de loges et de domaines privés, ainsi que de partenariats entre ONG et entités du secteur privé gérés en collaboration avec l’État et d’autres. Grâce à la gestion communautaire des ressources naturelles (GCRN) – une approche intégrant la conservation de nos actifs naturels tout en soutenant les moyens de subsistance des communautés rurales qui vivent à l’intérieur ou à proximité immédiate des aires protégées – les réserves appartenant aux communautés et gérées par elles sont soutenues.

Cette approche met l’accent sur la diversification des chaînes de valeur locales alors que beaucoup continuent de s’en remettre aux recettes tirées de la faune et de l’éco-tourisme. Au Zimbabwe, dans les années 1980, le programme de gestion des espaces collectifs pour les ressources indigènes (Communal Area Management Programme for Indigenous Resources – CAMPFIRE) a soutenu cette approche dans la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), avant de s’étendre au Mozambique, au Botswana et en Namibie dans les années 1990.

On connaît d’autres exemples plus récents au Malawi et en Afrique du Sud, soutenus, dans ce dernier cas, par l’African Safari Foundation (ASF) qui opère dans toute l’Afrique sub-saharienne pour habiliter les communautés à prendre le contrôle de leurs propres ressources naturelles. Ces interventions sont critiques car bon nombre de ces réserves font partie de réserves naturelles emblématiques telles que le Parc national Kruger en Afrique du Sud.

Le financement de la conservation est également assuré par diverses sources mondiales et régionales, mais même en l’absence de pandémie, le secteur souffre d’un sous-financement chronique et les États africains ne sont pas en mesure de fournir les ressources nécessaires pour financer la conservation dans la mesure où ils se battent déjà pour sortir leur population de la pauvreté.

L’Afrique du Sud, par exemple, a dû réaffecter des ressources au sein du ministère du gouvernement national responsable de l’environnement et des réserves naturelles pour combler le déficit de près de 700 000 USD dû à l’insuffisance des droits payés par les visiteurs pour soutenir SanParks, l’organisme d’État responsable des réserves. Il est clairement évident que de nouveaux modèles de financement de la conservation sont nécessaires.

Le capital naturel de l’Afrique : considérable, mais menacé

Le Bassin du Congo s’étend essentiellement sur six pays d’Afrique centrale, couvre plus de 310 millions d’hectares de forêt tropicale primaire et est la deuxième plus grande forêt tropicale du monde. Les pays en question sont le Cameroun, la République centrafricaine (RCA), La République du Congo, la RDC, la Guinée équatorienne et le Gabon. En plus de sa couverture forestière, cette forêt tropicale est la plus importante tourbière tropicale du monde. On estime qu’elle stocke plus de 33 milliards de tonnes de carbone, certains portant même ce chiffre à 80 milliards. De plus, ses arbres séquestrent jusqu’à 1,2 milliard de tonnes de CO2 par an. Le stockage de carbone cumulé équivaut à au moins trois ans d’émissions imputables aux combustibles fossiles à l’échelle mondiale, et sa libération dans l’atmosphère saperait considérablement les tentatives de minimisation du changement climatique.

La RDC a la plus vaste couverture forestière (107 millions d’hectares), soit 60 pour cent de la couverture forestière à basse altitude de l’Afrique centrale, sur 44 pour cent des terres, mais c’est le Gabon qui, avec 87 pour cent de couverture forestière, a le plus fort pourcentage des six pays. Le Bassin du Congo est également très riche en biodiversité et a la plus importante population de mammifères forestiers du monde (400 espèces au total). Il compte aussi plus de 10 000 espèces de plantes tropicales et plus de 1 000 espèces d’oiseaux, dont 38 pour cent sont endémiques. Les forêts produisent plus de 75–95 pour cent des pluies de la région en raison des phénomènes d’évaporation et d’évapotranspiration. Par ailleurs, plus de 75 millions de personnes vivent dans la région, dans 150 groupes ethniques distincts, dans une extrême pauvreté pour certains.

Des images par satellite réalisées en 2018 par l’université du Maryland, États-Unis, montrent que le Bassin du Congo a perdu 165 000 km2 de forêt entre 2000 et 2014, essentiellement en raison de l’expansion de la petite agriculture. L’étude montre qu’au rythme actuel de déforestation, les forêts du Bassin du Congo auront disparu à la fin du siècle. En assurant la conservation ne serait-ce que de un pour cent des sols forestiers du Bassin, on empêcherait la libération dans l’atmosphère de 230 millions de tonnes de CO2.

Cependant, les habitants de la forêt sont pauvres et dépendent de ses ressources naturelles pour survivre, et cette situation sera exacerbée par les impacts économiques de la pandémie de COVID-19. En l’absence d’alternatives dans la région, la pauvreté exerce une pression sur ses ressources naturelles, ce qui se traduit par l’approbation de projets d’agriculture industrielle à grande échelle, par de l’exploitation forestière illégale, de la prospection minière et autre, et du soutien aux moyens d’existence.

« Qu’arrivera-t-il en cas de nouveau choc économique ? »

Malgré la nécessité de faire face à la crise humanitaire et sanitaire croissante, nous ne pouvons ignorer la crise de la conservation qui se prépare également. Si nous continuons à fermer les yeux, d’autres chocs économiques suivront.

À quoi pourraient ressembler les nouveaux modèles de conservation durable

Le renforcement de la résilience doit englober les besoins de développement social de pays en développement abritant, estime-t-on, 689 millions de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 1,9 USD par jour. Deux sur trois d’entre elles vivent en milieu rural et dépendent de l’environnement naturel pour trouver des moyens de subsistance. Dans le Bassin du Congo, 72 pour cent de la population de la RDC vit dans l’extrême pauvreté et dans ces conditions, il est facile de comprendre pourquoi le braconnage est si attrayant et pourquoi la petite agriculture sur brulis est une importante source de revenu. De nouvelles approches sont nécessaires pour permettre à ces gens de gagner leur vie tout en préservant le capital naturel. À quoi pourraient ressembler ces approches ?

Initiatives des gouvernements et du secteur privé

L’approche du capital naturel (Natural Capital Approach – NCA) est un concept relativement nouveau. Dans les grandes lignes, elle définit le capital naturel comme l’ensemble des actifs matériels qui, dans un écosystème, ont une valeur économique en fournissant des services écosystémiques. Ce capital naturel peut être exploité, par exemple quand on abat un arbre, ou il peut être préservé pour continuer à fournir de précieux systèmes écosystémiques.

La NCA a été adoptée par le secteur des affaires et des investissements comme solution de lutte contre le changement climatique. Le Forum mondial sur le capital naturel a eu lieu à Edinburgh, Écosse, en 2017. De plus en plus d’organisations (dont l’Union internationale pour la conservation de la nature – UICN, le Programme des Nations unies pour l’environnement – PNUE, et le Conseil mondial des entreprises) soutiennent cette approche et font partie de la coalition de capitaux (Capitals Coalition) dont l’ambition est que, d’ici 2030, la majorité des entreprises, institutions financières et gouvernements intégreront le capital naturel, social et humain dans leur processus décisionnel.

Le Forum économique mondial prévoit que les plans favorables à la nature proposés par le mouvement Capital naturel pourraient libérer dix mille milliards USD et créer 395 millions d’emplois d’ici à 2030. Cet effort pourrait être renforcé si l’article 6 de l’Accord de Paris était activé lors de la prochaine COP26 (CCNUCC) en Chine, cette année, et ouvrait les marchés internationaux du carbone.

Toutefois, ceux qui critiquent cette approche considèrent que c’est toujours la même chose, qu’elle associe la nature à un capital et des services auxquels il suffit de mettre un prix pour traduire toute sa valeur. Ils disent que si cette valeur est ancrée dans une économie de marché, elle est uniquement associée à des investissements monétaires, contrairement à une approche éthique, qui est centrée sur la justice sociale et l’équité avec la nature (voir également l’article « L’aspect économique de la biodiversité »).

Parmi les programmes plus ambitieux, citons la campagne mondiale « objectif : zéro » (Race to Zero Global Campaign), qui mobilise 708 villes, 23 régions, 2 162 entreprises, 127 investisseurs parmi les plus grands et 571 établissements d’enseignement supérieur pour atteindre zéro émission nette de carbone d’ici à 2050. Forte de la participation de 120 pays, c’est la plus vaste alliance de tous les temps (elle couvre près de 25 pour cent des émissions mondiales de CO2 et plus de 50 pour cent du PIB mondial).

Approches communautaires

Les gens sont au cœur des solutions de protection de la biodiversité et de préservation des tourbières et des forêts. La gestion communautaire des ressources naturelles (Community-Based Natural Resource Management – CBNRM) est une approche axée sur la population de conservation de nos actifs de capital naturel tels que l’eau, le sol, la forêt, les tourbières et la diversité. Lorsque nous investissons dans le soutien des populations locales vivant dans et aux environs de zones riches en actifs naturels, elles deviennent les gardiennes de ces ressources.

La CBNRM donne aux communautés locales des droits sur les terres et des ressources naturelles et renforce leurs compétences et leurs capacités pour que ces ressources puissent être utilisées de manière durable pour la génération de revenus. Toutefois, si l’écotourisme est la principale source de recettes, sans diversification dans d’autres domaines économiques, ces communautés connaîtront des difficultés en cas de récession économique, comme c’est le cas avec les conséquences de la COVID-19.

Les zones CBNRM doivent être liées aux marchés locaux et régionaux de manière à améliorer les sources de revenu de la pêche durable et la valorisation durable des ressources forestières et à ne pas interrompre les chaînes d’approvisionnement, même en temps de difficultés économiques. L’écotourisme peut être la cerise sur le gâteau mais ne peut être la principale source de revenu. La résilience est particulièrement importante pour les zones de conservation de sorte qu’elles restent intactes pour la prospérité de notre planète et de ses habitants.

Les forêts peuvent offrir une grande diversité de ressources utilisables en valeur ajoutée, par exemple le bois et le charbon de bois, comme combustibles, la fabrication de meubles, des matériaux de construction, des produits, des vêtements, de la pâte à papier, des revêtements de sol, des fibres cellulosiques, des emballages, etc. Toutefois, il faut que le prélèvement des matériaux forestiers soit durable, faute de quoi leur utilisation pourrait contribuer à la réduction du couvert forestier.

Le Gabon et la République du Congo ont choisi d’investir dans les chaînes de valeur forestières durables où une valeur est ajoutée aux produits forestiers et aux ressources naturelles, et où des emplois sont créés pour les populations locales plutôt que d’exporter des grumes. Selon Lee White, ancien conservationniste et aujourd’hui ministre des Forêts, de la Mer, de l’Environnement et du Changement climatique du Gabon, « à moins de faire du bois une ressource précieuse, nous ne pourrons pas préserver les arbres ». Il souhaite créer 200 000 emplois liés à la forêt au cours des dix prochaines années et accroître de 40 pour cent (contre 4 actuellement) la contribution de la foresterie au revenu national.

Lee White déclare que la vente de bois brut rapporte 200 USD au mètre cube alors que si vous transformez ce même bois en ressource, vous pouvez en tirer jusqu’à 2 000 USD, sans parler de ce que peuvent rapporter les bois très précieux. En 2019, le Gabon a signé, avec la Norvège, un accord de dix ans d’une valeur de 150 millions USD selon lequel il peut tirer des recettes de la préservation de ses forêts dans le cadre de l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (CAFI).

Soutien de l’appropriation communautaire

Les pratiques de gestion communautaire des forêts prennent racine en Afrique. Le Protocole de la SADC sur les forêts « défend les droits des communautés et facilite leur participation à l’élaboration, la planification et la gestion de la politique forestière ». Un programme de formation à l’échelle de la SADC a entraîné la mise en place d’une gestion participative des forêts dans un grand nombre de ses États membres.

La Zambie, par exemple, a confié la gestion de 27 846 hectares de terre à 16 communautés, dont 13 assurent un contrôle juridique. Ce processus se répète en RDC où deux millions d’hectares des concessions forestières communautaires du pays ont déjà été cédés, ou sont sur le point de l’être, aux communautés, sachant que jusqu’à 75 millions d’hectares peuvent être mis à disposition pour le programme.

Les premiers éléments dont on dispose pour la RDC confirment les résultats d’une étude menée en Amérique latine par l’Institut des ressources mondiales, selon laquelle les communautés « maintiennent ou améliorent le stockage du carbone dans leurs forêts » lorsqu’elles en ont la responsabilité. Cela nécessite une formation et un renforcement des capacités de sorte que les communautés puissent répondre aux exigences de gestion durable de leurs concessions qu’elles possèdent à perpétuité. Ces efforts nécessitent toutefois un financement et comme les communautés n’ont pas la capacité de gérer le processus seules, ni les moyens de payer la formation, ces programmes ont besoin d’un soutien.

Des engagements à long terme sont nécessaires

Certains ont cherché à en savoir plus sur notre interconnectivité mondiale et à comprendre comment la perte de ressources naturelles, notamment dans les zones riches en stocks de carbone, est préjudiciable à chaque citoyen de la planète. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a demandé de toute urgence à la communauté internationale de créer des fonds d’urgence pour compenser les pertes de recettes de l’écotourisme pendant la pandémie.

Mais que se passera-t-il si la pandémie perdure malgré les vaccins ou si nous connaissons une autre crise économique ? Nous devons être audacieux et reconnaître que dans certaines parties du monde les actifs naturels doivent continuer d’être protégés, sinon notre monde sera transformé à jamais. Ces ressources constituent un bien mondial et il est très injuste que certaines nations parmi les plus pauvres du monde soient insuffisamment soutenues pour les préserver.

Il est nécessaire d’obtenir un engagement mondial garantissant un soutien à long terme sur lequel on ne pourra pas revenir. Une taxe climatique mondiale contribuerait grandement à faire partager la responsabilité de la conservation des actifs naturels à ceux qui ont les moyens d’en supporter le coût et à empêcher un changement climatique catastrophique. 

Annie Sugrue est la directrice de sa propre entreprise, EcoSasa Developments. Elle est consultante dans les domaines du développement durable et de l’économie circulaire, de la conservation, de la biodiversité et de la bioéconomie, des chaînes de valeur de la petite agriculture et des questions de genre.

Contact: annie@ecosasa.co.za

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