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Comment faire le lien entre petits agriculteurs et filières biologiques ?
La production biologique est particulièrement adaptée aux petits agriculteurs car elle réduit leur dépendance vis-à-vis des ressources externes tout en leur permettant de s’appuyer sur leurs savoirs traditionnels. Les petits agriculteurs qui se sont convertis à la production et à la commercialisation de produits biologiques bénéficient de rendements et de revenus plus élevés et plus stables, ce qui améliore incontestablement leur sécurité alimentaire. Toutefois, pour pouvoir être vendus sous le label « produits biologiques » et bénéficier de prix intéressants, les produits doivent être certifiés par des agences spécialisées, une opération coûteuse et lourde pour les petits agriculteurs des pays en développement.
Une étude de la FAO (Santacoloma, 2007) montre qu’il existe d’autres programmes de certification biologique. Ces programmes font partie intégrante de relations commerciales particulières, qui définissent les besoins en services commerciaux et techniques, en intrants et en infrastructures post-récolte des acteurs de la filière. Sur la base de ces conclusions, la FAO s’est intéressée aux stratégies de commercialisation et aux sources de financement qui permettraient de promouvoir le secteur de l'agriculture biologique dans les pays en développement. Elle a étudié plusieurs initiatives biologiques menées dans la filière du riz en Thaïlande et en Inde, dans la filière du café et des fruits dans les pays africains et dans la filière des produits horticoles en Hongrie et au Brésil.
Marché des produits biologiques
Les marchés internationaux des produits biologiques continuent à croître de manière exponentielle, à raison de 10 pour cent à 30 pour cent d'augmentation par an dans la plupart des pays, pour un chiffre d'affaires mondial de 5 milliards d'USD par an. Les légumes et les fruits frais occupent la tête du classement.
Les légumes biologiques représentent plus de 5 pour cent des ventes totales de légumes dans les pays d'Europe du Nord et plus de 10 pour cent dans certains pays scandinaves et alpins. Le marché des fruits biologiques enregistre une croissance encore plus rapide avec l'arrivée sur le marché d'un nombre croissant de variétés tropicales et exotiques.
En 2009, le marché mondial des aliments et des boissons biologiques a dépassé les 54,9 milliards d'USD, la majorité des produits étant consommés en Amérique du Nord et en Europe. Dans les pays en développement, les marchés des produits biologiques certifiés sont beaucoup moins développés, à l'exception de la Chine. Cependant, le potentiel d'échange commercial entre les différents pays du marché biologique émergent que constitue la région Asie-Pacifique va permettre de consolider un secteur de la production biologique, à l'origine, destiné à approvisionner les pays occidentaux. Même si quelques marchés nationaux ou à l'exportation offrent des prix intéressants pour les produits biologiques, il est à craindre que ce système ne dure pas avec l'arrivée d'un nombre croissant de gros producteurs commerciaux qui risque d'entraîner une baisse des prix.
Filières biologiques
L'étude montre que les filières sont parfois très courtes lorsque les agriculteurs vendent leurs produits directement aux consommateurs locaux ou plus élaborées lorsque différents acteurs sont impliqués dans le transport et la transformation des produits biologiques entre le lieu de production et le consommateur final, des opérations qui doivent respecter la qualité biologique des produits. Voici quelques modèles de filières :
Filières « du producteur au consommateur » : ces filières sont très populaires auprès des producteurs qui travaillent dans le cadre du mouvement agro-écologique brésilien et qui vendent leurs produits sur les marchés ou sur des foires écologiques mises en place par les gouvernements municipaux. Les prix sont fixés à la suite de négociations entre les groupes de producteurs et les municipalités locales ou les entités gouvernementales responsables de l'organisation des foires. En Hongrie, certains petits agriculteurs biologiques vendent également leurs produits directement aux consommateurs dans le cadre de marchés biologiques publics.
Filières « du producteur au détaillant ou au supermarché » : en Thaïlande, la société de distribution privée TOPS commercialise les produits biologiques sous sa propre marque dans ses supermarchés à travers le pays. Les produits biologiques commercialisés sous la marque TOPS sont variés et comprennent notamment du riz, de la noix de coco, du lait, du café et des crevettes. Le même phénomène existe au Brésil où des organisations de producteurs trient et conditionnent les produits frais et transformés avant de les expédier directement vers des supermarchés ou des épiceries.
Filières « du producteur au secteur de la transformation » : dans les deux cas étudiés de production de riz basmati en Inde, les agriculteurs vendent leur riz à une rizerie qui expédie ensuite le produit transformé, en vrac ou conditionné pour la vente au détail, en vue de son exportation. Dans le premier cas, une société privée organise la filière. Une fédération d'agriculteurs produit le riz biologique sous contrat, puis la société transporte, transforme, conditionne et distribue le produit sur le marché national ou sur des marchés biologiques et des marchés de commerce équitable en Europe. Dans le deuxième cas, un groupement professionnel contrôlé par l'État organise la production avec les agriculteurs et négocie des contrats avec l'acheteur principal qui s'occupe ensuite de transformer le riz dans sa propre rizerie, puis de le conditionner et d’organiser son transport vers des marchés nationaux et étrangers.
Filières « de l'agriculteur à l’importateur » : dans le cas du café biologique africain, les agriculteurs cultivent les cerises de café, les récoltent et les livrent à un centre de collecte qui en extraie les grains de café. Ceux-ci sont ensuite décortiqués et séchés. Certaines de ces opérations peuvent également être réalisées à la ferme. Les grains sont ensuite mis en sac et exportés directement à destination de l'importateur. Dans certains cas, les grains de café sont envoyés à un exportateur qui se charge de les calibrer et de les reconditionner avant de les expédier à l'importateur qui s'occupera de la torréfaction ou les vendra au torréfacteur/conditionneur en vue de leur vente au détail.
Dans la majorité des cas étudiés par la FAO, l'opportunité de marché a été identifiée par l'entrepreneur, l'entreprise ou l'exportateur, qui s'est ensuite chargé de créer l'activité et de mettre en place la filière permettant de l'exploiter. Dans quelques rares cas, ce sont les agriculteurs eux-mêmes qui ont pris l'initiative de créer la filière pour répondre à une demande du marché. Parfois aussi, la création de la filière et le lien avec les marchés résultent de l’initiative d'une organisation gouvernementale ou non-gouvernementale ayant pour but de promouvoir l'agriculture biologique comme alternative pour les petits agriculteurs.
Respect de la qualité biologique tout au long de la filière
Dans toute filière agro-alimentaire, le maintien de la qualité du produit entre la ferme et le consommateur est crucial pour garantir de bons prix et une activité durable. Cela signifie que le transport et la logistique du produit récolté sont des composantes essentielles de la filière. Les produits biologiques sont soumis à des règles encore plus strictes puisque la manutention, le transport, le stockage et le conditionnement doivent être réalisés selon des conditions certifiées, séparément des produits non biologiques. Une fois que le produit quitte l'exploitation biologique, les infrastructures de transport et de manutention utilisées doivent donc satisfaire à ces exigences. Récemment, la traçabilité est venue s’ajouter aux conditions exigées par les marchés à l'exportation, car elle permet de garantir la qualité du produit tout au long de la filière. Toutes ces exigences accentuent la pression sur les producteurs, les transformateurs et les négociants lorsque les produits biologiques dont ils s'occupent sont destinés à l'exportation.
En ce qui concerne les infrastructures, les cas étudiés ont mis en lumière deux problèmes majeurs. Tout d'abord, les agriculteurs ne disposent pas des ressources nécessaires pour investir dans des infrastructures de transport, de stockage ou de transformation leur permettant de fournir des produits de bonne qualité. Ils ont donc tendance à se regrouper pour créer des centres de collecte ou des installations de conditionnement groupées et pour organiser le transport des produits jusqu'au transformateur, à l'exportateur ou directement au consommateur.
Dans certains cas, ces groupements ont même décidé d’assurer la transformation du produit avec la création d'infrastructures de préparation du riz (Thaïlande, Inde), de décorticage du café (Afrique), de transformation du jus de fruits (Brésil, Afrique), de séchage des fruits (Afrique) et même de conditionnement des produits pour la vente au détail (Afrique, Brésil, Inde, Thaïlande). Généralement, cependant, les opérations de transformation, de stockage et de transport sont prises en charge par l'entrepreneur, le grossiste ou l'exportateur privé.
En résumé, l'organisation de la filière biologique ne diffère pas beaucoup de celle des filières conventionnelles.
Toutefois, pour conserver la qualité biologique des produits, il est nécessaire de mettre en place une coordination verticale, une logistique et des infrastructures plus solides et de définir clairement les rôles et les responsabilités des différents acteurs. La création de groupes d'agriculteurs permet de réduire les coûts de certification et de promouvoir des pratiques d'approvisionnement efficaces.
Mécanismes de financement
La création et le fonctionnement d’une filière de production biologique nécessite des ressources financières substantielles qui dépassent souvent largement les moyens des petits agriculteurs et de leurs organisations. Ceux-ci doivent donc s'appuyer sur des partenariats avec des acheteurs et d'autres acteurs pour financer leur participation. Les crédits et les prêts offerts par les banques commerciales et par les programmes gouvernementaux ne disposent généralement pas de composantes spécifiquement orientées sur l'agriculture biologique, à l'exception de la Hongrie en raison de ses liens avec les programmes de l'UE, et de la Thaïlande et du Brésil ou des mécanismes de financement spécifiques destinés aux organisations communautaires et aux exploitations familiales privilégient l’agriculture biologique. En général, les agriculteurs ne recherchent pas de financements auprès des banques commerciales en raison des taux d'intérêts élevés et des exigences de garantie demandées. Ils préfèrent s'appuyer sur leurs propres ressources ou emprunter de manière informelle.
L'étude montre que les partenariats avec le secteur privé sont les principales sources de financement des filières biologiques. Les fonds proviennent de sources personnelles ou internes et, dans certains cas, de banques commerciales. Dans d'autres cas, les partenariats de commerce équitable entre producteurs et acheteurs de pays développés ont permis de financer la production et les opérations post-récolte grâce au paiement d’avances. Mais cela n'est pas toujours suffisant pour payer la totalité des cultures récoltées, particulièrement dans le cas du riz. Les organisations d'agriculteurs doivent donc trouver d’autres financements au niveau local.
En résumé, le financement de la production agricole pour les petits agriculteurs reste problématique dans les pays en développement, que cette production soit biologique ou non. Lorsque des partenariats avec le secteur privé ou des partenariats de type commerce équitable existent ou sont en cours de création, il serait souhaitable que les banques commerciales et les programmes gouvernementaux soient encouragés à mettre en place des mécanismes de financement appropriés pour faciliter le bon déroulement des opérations à tous les niveaux de la filière.
Propositions pour accroître la participation des petits agriculteurs aux filières biologiques
Les gouvernements doivent mettre en place un environnement favorable afin de faciliter le développement de filières biologiques à l'exportation et pour les marchés nationaux. Il leur faut pour cela élargir les services de vulgarisation afin d'y inclure les techniques de production biologique et les opérations post-récolte, créer des lignes de crédit pour les coûts de conversion et de certification et soutenir la formation à la gestion de la qualité et de la sécurité alimentaire, la gestion commerciale et les services de conseil associés fournis par des sociétés privées locales.
Les gouvernements doivent également promouvoir la consommation nationale de produits biologiques en créant des marchés biologiques en partenariat avec les municipalités et en favorisant l'achat de produits biologiques par les programmes de santé, d'alimentation et de nutrition du secteur public.
Les sociétés partenaires doivent identifier des opportunités de marché au niveau local et à l'étranger avant de créer ou de participer à des filières biologiques.
Les sociétés doivent également s'assurer qu'elles disposent des ressources humaines et financières nécessaires pour défendre la création et le fonctionnement de la filière biologique.
Les institutions de financement doivent élaborer des mécanismes de financement appropriés qui tiendront compte des particularités de la production biologique, notamment de la période de conversion et de la ségrégation des produits tout au long de la chaîne.
Les groupes de soutien tels que les ONG qui travaillent avec les petits agriculteurs sur des projets d'agriculture biologique doivent vérifier qu'ils disposent des capacités suffisantes pour gérer les opérations post-récolte, la qualité et la sécurité alimentaire, le financement, la commercialisation et la gestion commerciale, que ce soit avec leurs propres effectifs ou par le biais d'alliances ou de contrats de sous-traitance avec des groupes spécialisés.
Pilar Santacoloma
Économiste spécialisé dans l'agroalimentaire
Division des infrastructures rurales et des agro-industries
Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO)
Rome, Italie
Pilar.Santacoloma@fao.org
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