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À partir des réalités des agriculteurs
En Afrique occidentale, l’abandon partiel par l’État des fonctions de vulgarisation agricole a entraîné la montée d’une forme pluraliste de services consultatifs offerts par divers acteurs. Toutefois, ces nouveaux acteurs (organisations non gouvernementales – ONG, organisations de producteurs – OP, sociétés agro-industrielles, etc.) n’assument encore que partiellement cette fonction consultative. Par ailleurs, leurs approches sont axées sur la réalisation de leurs propres objectifs. Il n’est pas facile de rompre avec les vieilles pratiques pyramidales de vulgarisation pour promouvoir des approches plus participatives. De plus, les gouvernements ont du mal à financer les acteurs consultatifs dans un contexte de ressources budgétaires limitées. Ils ont également du mal à promouvoir l’élaboration de mécanismes consultatifs innovants susceptibles de contribuer à répondre à la pluralité des besoins des producteurs ou d’assurer un soutien à de nouvelles approches sortant des mécanismes des projets.
C’est dans ce contexte que les approches MAFF sont mises en avant en Afrique francophone depuis près de deux décennies, initialement avec le soutien d’entités de coopération françaises. Un soutien venu d’ailleurs en Europe (entités de coopération belges, néerlandaises, suisses) et la participation de certains gouvernements ont permis d’adapter l’approche MAFF à différents contextes. Aujourd’hui, dans plus de dix pays d’Afrique francophone, des programmes MAFF sont intégrés dans des services consultatifs fournis par des ONG, des OP, des sociétés cotonnières ou des organismes gouvernementaux. Ils touchent environ 100 000 producteurs.
L’approche MAFF vise à renforcer la capacité des agriculteurs à gérer leurs exploitations et à améliorer leur autonomie relativement à leur environnement économique et social. Elle s’appuie sur des méthodes participatives offrant (i) des autoanalyses permettant de modifier l’idée que se font les exploitants et les conseillers des problèmes auxquels ils sont confrontés, et (ii) des outils d’aide à la décision basés sur des bilans techniques et économiques (comptabilité) pour produire de nouvelles connaissances et déterminer des processus d’apprentissage. À cet égard, la gestion est perçue comme un cycle comprenant différentes phases : analyse, prévision, action, suivi, ajustement et évaluation. Le conseiller effectue une analyse conjointe des résultats obtenus par chaque exploitant. Parce qu’ils créent de fortes dynamiques, les échanges de résultats entre exploitants sont toujours encouragés par des réunions régulières (formation, visites sur le terrain, expérimentations dans les exploitations, etc.).
L’approche MAFF se distingue des services de vulgarisation qui visent essentiellement à transférer des connaissances et de nouvelles pratiques aux exploitants, notamment dans le domaine de la production agricole. Elle se rapproche de celle des écoles pratiques d’agriculture (Farmer Field Schools) en ceci qu’elle favorise l’apprentissage agricole. Elle le fait toutefois en mettant l’accent sur l’agriculteur et sur son exploitation familiale (et pas essentiellement sur la production agricole) grâce à des analyses techniques et économiques.
L’approche MAFF en action : l’exemple du Bénin
En 1995, le Bénin a été un des premiers pays d’Afrique occidentale à mettre en œuvre l’approche MAFF dans le cadre de projets pilotes. Cette approche y est actuellement mise en œuvre avec le soutien de programmes bénéficiant d’un financement bilatéral tels que le Projet d’appui aux dynamiques productives (PADYP), qui est financé par l’Agence française de développement (AFD). Les conseils sont prodigués par près d’une douzaine d’ONG ayant acquis une vaste expérience en matière de MAFF, par des OP telles que la FUPRO (Fédération des unions des producteurs) ou par le ministère de l’Agriculture du Bénin qui a recruté plus de 250 conseillers pour le programme MAFF auquel participent près de 20 000 exploitants agricoles.
Sur la base de l’expérience acquise dans le domaine des conseils MAFF, le ministère de l’Agriculture a rédigé, en 2007, un document intitulé « Livre blanc sur le conseil agricole au Bénin » et visant à étendre l’approche à l’ensemble du pays et à identifier les complémentarités avec d’autres formes de services consultatifs. Une Stratégie nationale de mise en œuvre du conseil agricole (SNCA), également élaborée en 2007, répartit les services consultatifs en cinq catégories : 1) conseil technique spécialisé (existe déjà), 2) conseil à l’accès au marché, 3) conseil à l’organisation et à la planification (incluant le conseil aux organisations de producteurs), 4) conseil de gestion aux exploitations agricoles, et 5) conseil pour l’alimentation et la nutrition appliquée. L’approche MAFF fait par conséquent partie d’un système consultatif élargi de fourniture de « conseils de gestion des exploitations agricoles ».
Au niveau national, un mécanisme officiel de coordination des acteurs de conseil fait toujours défaut. Certaines initiatives ont toutefois été prises. Par exemple, des projets ou des organisations internationales telles que le forum africain sur les services de conseil agricole (African Forum for Agricultural Advisory Services – AFAAS) organisent des ateliers nationaux de partage des connaissances. Les ONG participant à la prodigation de conseils MAFF ont mis en place un réseau d’évaluation des méthodologies. Des organisations nationales d’agriculteurs telles que la FUPRO se font les porte-parole des exploitants agricoles dans les forums nationaux.
Le conseiller anime des rencontres de conseil collectives mais intervient aussi individuellement auprès des exploitants. Le programme MAFF est mis en œuvre de manière souple et progressive. Le conseiller s’appuie sur une phase de diagnostic agricole pour identifier les besoins des exploitants et orienter leurs activités en accord avec eux. Il organise ensuite des formations collectives aux techniques agricoles (fertilisation du maïs, lutte contre les parasites des plantations de coton, régulation de la floraison de l’ananas, etc.). Il leur enseigne également des concepts de gestion et l’utilisation d’outils appropriés (planification de la saison de culture, gestion des stocks de céréales, planification du cash flow, comptes de gestion, etc.). Le programme MAFF encourage ainsi les exploitants à réfléchir à leurs propres pratiques de gestion, les aide à intégrer des mesures d’évaluation et de prévision dans leurs pratiques et leur enseigne comment utiliser des indicateurs techniques et économiques (marge brute, ratio charges/produits, etc.). Il aide ainsi l’agriculteur à analyser le rendement de son exploitation.
Pendant la saison de culture, le conseiller assure un suivi individuel des exploitants dans leurs champs pour leur donner des conseils supplémentaires ciblés. À la fin de la saison, une première analyse des résultats techniques et économiques, au niveau de la production agricole et à celui de l’ensemble de l’exploitation, est effectuée avec les producteurs lors de réunions de groupes. Certains conseillers utilisent des ordinateurs pour effectuer un traitement supplémentaire des données fournies par les exploitants. Les résultats plus précis ainsi obtenus sont ensuite présentés et examinés avec chacun d’eux. Sur la base des résultats de la saison précédente, les conseillers et les exploitants planifient ensemble la future saison. L’approche MAFF encourage les échanges entre les producteurs au moyen de diverses activités collectives (formation, réunions collectives d’examen des résultats, visites sur le terrain permettant de partager les expériences, essais en plein champ visant à tester des innovations, etc.).
Pour améliorer l’accès d’autres exploitants au programme MAFF, les ONG ont encouragé les premiers participants au programme MAFF, maîtrisant souvent leur langue maternelle, à constituer de nouveaux groupes dans leurs villages. C’est ainsi que des agents de vulgarisation agricole ont été formés et soutenus par les conseillers des ONG qui leur ont permis d’aborder, avec les nouveaux producteurs, les questions de base (planification des rotations, calcul de la marge brute, etc.). Le Bénin compte actuellement près de 500 agents de vulgarisation agricole dont certains sont rémunérés pour leurs activités. Aujourd’hui, le principal objectif des acteurs consultatifs est d’adapter la méthode aux exploitants non alphabétisés, soit en mettant en œuvre des programmes d’alphabétisation tout en montrant comment utiliser les outils de gestion, soit en élaborant des outils de gestion ne s’appuyant pas sur l’écrit.
Principaux avantages pour les exploitants agricoles
Le programme MAFF aide les exploitants à acquérir de nouvelles connaissances et de nouvelles compétences. Ils utilisent ces connaissances et ces compétences pour modifier leurs pratiques agricoles et leurs méthodes de gestion (semis précoces, séparation du stock de céréales entre produits destinés à la consommation propre et produits destinés à la vente, meilleure planification des saisons de culture, etc.). Lorsqu’ils évoquent le programme MAFF, ils disent que ces conseils les aident à développer leurs idées. « Maintenant, nous savons que nous pouvons changer, » déclarent-ils. « Avant, nous avions l’habitude de puiser dans le grain entreposé et, lorsqu’il n’y avait plus rien à puiser, il fallait gérer la situation », confient certains exploitants en faisant allusion aux questions de prévision et de gestion. « Cette année, après la récolte, nous avons calculé la quantité à mettre de côté pour la consommation familiale. Nous avons mis de côté les sacs réservés aux besoins de la famille et avons vendu ceux qui restaient. »
Les changements opérés par les exploitants participant au programme MAFF ont des conséquences considérables, pas seulement sur leurs propres exploitations et leurs propres familles, mais aussi sur ceux avec lesquels ils échangent leurs idées et qui n’ont pas participé au programme. Ces conséquences sont toutefois difficiles à évaluer et quantifier. En 2010, une étude effectuée au Bénin par un institut indépendant, l’IREEP (Institut de recherche empirique et d’économie politique), et portant sur 254 exploitants agricoles ayant participé au moins trois ans au programme MAFF entre 2000 et 2007 a donné des résultats intéressants (voir tableau).
Impact du programme MAFF sur la production, les revenus, la sécurité alimentaire et les dépenses des ménages au Bénin
Évolution des variables après le programme MAFF | % d’exploitants concernés considérant que l’évolution est liée au MAFF |
---|---|
Amélioration du rendement des principales cultures | 94 |
Amélioration du revenu agricole | 98 |
Amélioration de la disponibilité des produits alimentaires pendant les périodes de vaches maigres | 85 |
Réduction des dépenses consacrées aux biens des ménages et aux activités sociales | 21 |
Accroissement des dépenses consacrées à l’éducation des enfants | 68 |
Forte participation des organisations de producteurs
Le programme MAFF est également très utile pour les organisations de producteurs. Les membres de ces dernières qui participent au programme MAFF améliorent les rendements de leurs exploitations, ce qui contribue à renforcer la position des OP. Certains participants au programme MAFF deviennent alors des leaders dans leur OP et peuvent par conséquent utiliser, à l’avantage de l’organisation, les compétences en gestion acquises par l’intermédiaire du MAFF. De plus, dans de nombreux pays, les OP jouent un rôle particulier dans la mise en œuvre directe du programme MAFF. À titre d’exemples, citons plusieurs OP du réseau de gestion au Burkina Faso, la Fédération des producteurs du Fouta-Djalon (FPFD) en Guinée, la FUPRO, ou l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina (UNPCB).
Une organisation de producteurs peut efficacement mettre en œuvre des services consultatifs lorsqu’elle dispose de ressources humaines et financières suffisantes. On peut attendre des services consultatifs des OP qu’ils tiennent plus compte des besoins des exploitants que ceux qui sont fournis de l’extérieur. Les OP elles-mêmes s’en trouvent renforcées dans la mesure où elles offrent un service supplémentaire à leurs membres et où, ce faisant, elles acquièrent une meilleure connaissance des contraintes et des possibilités des exploitations de leurs membres.
Les OP doivent toutefois veiller à bien intégrer le programme MAFF dans leurs activités. À défaut, la gestion directe du MAFF peut les affaiblir en raison d’une dispersion de leurs activités, d’une gestion inadéquate de leurs conseillers salariés ou d’une instabilité financière. Par exemple, l’Union nationale des producteurs de coton du Burkina Faso a essayé de mettre en œuvre le MAFF en relation avec les sociétés cotonnières, mais sans tenir compte des conseils fournis au niveau des organisations de producteurs. Cette situation a donné lieu à des tensions et a entraîné des coûts non supportables. En fin de compte, les acteurs ont été obligés de renoncer à ce projet.
Tout compte fait, l’approche MAFF montre qu’en partant des réalités des exploitants on obtient de meilleurs résultats qu’avec une approche pyramidale des services consultatifs. Alors que les exploitants eux-mêmes bénéficient du soutien du programme MAFF, les organisations de producteurs peuvent compter sur un nombre plus important d’adhérents et tirer parti des compétences supplémentaires acquises par leurs membres.
Guy Faure
Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD)
Montpellier, France
guy.faure@cirad.fr
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