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L’illusion des engrais « verts » : Pourquoi l’Afrique a besoin de l’agroécologie pour assurer la durabilité de la santé des sols
Le Sommet africain sur les engrais et la santé des sols (ASHF) s’est tenu à Nairobi en mai dernier. Il a souligné le besoin urgent de stopper la dégradation des sols dans le cadre de la lutte contre la faim. Il a souligné pour la première fois à quel point il est important de donner la priorité à la santé des sols plutôt qu’à la solution simpliste consistant à accroître l’usage des engrais.
Toutefois, la proposition du sommet, à savoir tripler la production d’engrais de synthèse et organiques d’ici à 2034, risque d’affaiblir ses propres objectifs en matière de santé des sols. Parmi les solutions proposées, les engrais azotés de synthèse à base d’hydrogène vert sont présentés comme moins polluants que les engrais à base de combustibles fossiles. Or, ces soi-disant engrais « verts » risquent de perpétuer les problèmes qu’ils prétendent résoudre.
La racine du problème : l’héritage de l’agriculture industrielle
Pendant des années, des organisations telles que l’AGRA (Alliance pour une révolution verte en Afrique) et des acteurs industriels tels que Yara ont incité les gouvernements africains à adopter un modèle agricole à forte consommation d’intrants dépendant de subventions coûteuses. Cette approche s’est traduite par une dégradation des sols, une dépendance accrue à des intrants coûteux et un plus fort endettement des exploitants, tout en étant incapable de s’attaquer aux causes profondes de la faim. Une étude de 2020 a mis en lumière les promesses non tenues de l’AGRA et a révélé son incapacité à atteindre la sécurité alimentaire durable, et une étude plus récente confirme les échecs des projets de l’AGRA.
La reconnaissance, par l’ASHF, de la santé des sols comme une priorité est un changement de direction bienvenu. Cependant, son Plan d’action et la Déclaration de Nairobi pourraient également conduire au statu quo et promouvoir l’agriculture industrielle sous une autre forme. Les engrais de synthèse à base d’hydrogène vert sont un bon exemple de l’ambigüité du Plan d’action.
Pourquoi les engrais « verts » ne sont pas la solution
Les engrais à base d’hydrogène vert produisent certes moins d’émissions pendant leur production, mais leurs coûts élevés et leur impact sur les exploitations sont les mêmes que ceux des engrais à base de combustibles fossiles. Ils continuent d’aggraver la dégradation des sols, contribuent à la contamination de l’eau et sont responsables du fait que les petits exploitants agricoles restent dépendants d’intrants coûteux. En soutenant l’utilisation continue de tels intrants, on ne fait que renforcer le modèle industriel, en se contentant de décarboner la production d’engrais de synthèse sans améliorer la durabilité globale de la production alimentaire. Cela ne fait que retarder l’adoption de solutions à long terme telles que l’agroécologie qui donnent la priorité à la santé des sols et à la biodiversité. Les coûts d’investissement élevés nécessaires à la création d’une infrastructure de production d’hydrogène vert soulignent un peu plus le fait que cette approche ne répond pas aux besoins fondamentaux de pratiques agricoles plus durables.
Sans compter que ce n’est pas en triplant l’utilisation des engrais de synthèse – qu’ils soient d’origine fossile ou à base d’hydrogène vert – qu’on atteindra l’objectif faim « zéro ». La faim est un problème à multiples facettes qui est exacerbé par des inégalités qu’on ne peut pas corriger simplement en augmentant les rendements. Les sols et les humains ont besoin de solutions holistiques spécifiques au contexte. L’agroécologie, qui tient compte de facteurs écologiques, culturels et sociaux, offre une solution durable en restaurant les sols dégradés et en favorisant la souveraineté alimentaire.
L’appel de la société civile à une transformation agroécologique
Au Kenya et ailleurs, des organisations de la société civile – dont Silke Bollmohr, qui est membre du Forum allemand pour l’environnement et le développement – préconisent la transformation agricole en autonomisant les petits exploitants agricoles et en réduisant la dépendance aux intrants de synthèse. Au lieu de mettre l’accent sur les engrais azotés de synthèse et de remplacer les engrais à base de combustibles fossiles par des engrais à base d’hydrogène vert, elles proposent l’adoption d’approches agroécologiques qui restaurent la santé des sols, réduisent l’érosion, renforcent la résilience et améliorent la rétention de l’eau en tenant compte du lien entre la santé des sols et la matière organique, la biodiversité et l’équilibre des écosystèmes.
La voie à suivre : l’agroécologie pour la santé durable des sols
Les gouvernements africains devraient donner la priorité aux initiatives favorables à une authentique santé des sols, initiatives ancrées dans l’agroécologie, comme illustré par le comté de Murang’a qui a déjà prouvé sa détermination en adoptant une politique agroécologique, la première de ce type. Cette approche exige qu’on s’éloigne de l’agriculture industrielle au profit de systèmes alimentaires résilients et équitables centrés sur la santé des sols, l’utilisation minimale d’intrants externes et la nutrition.
Le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ) joue un rôle clé dans ce changement de direction. Les programmes actuels du BMZ priorisent déjà la santé des sols et l’agroécologie, mais ce soutien doit s’amplifier et s’appuyer sur un cadre politique cohérent tenant compte de la santé des sols et de l’agroécologie. De même, la future Stratégie pour l’Afrique du ministère fédéral de l’Alimentation et de l’Agriculture (BMEL) devra clairement axer ses efforts sur l’agroécologie et tourner le dos aux engrais azotés de synthèse externes, coûteux et non durables.
L’illusion des engrais « verts » ne doit pas masquer le besoin urgent de solutions agroécologiques. Ce n’est qu’en s’affranchissant des modèles dépendant d’intrants et en soutenant le recours croissant aux engrais biologiques et aux biopesticides grâce à la recherche que l’Afrique pourra tracer sa route vers un avenir agricole véritablement durable.
Auteurs :
Silke Bollmohr, réseau INKOTA, Allemagne
Emma Beelen, Aktion gegen den Hunger, Allemagne
Stig Tanzmann, Brot für die Welt, Allemagne
Anne Maina, BIBA Kenya
Rosinah Mbenya, PELUM Kenya
Evans Muswahili, LRFSN Kenya
Pour en savoir plus :
Lien vers le document de discussion : “Green” synthetic fertilisers: solution for soil, climate, water and communities or a dead end ?"
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