Naomi Lanoi Leleto est coordonnatrice de programmes pour Global Indigenous Grantmaking et coordonnatrice du conseil consultatif du Global Greengrants Fund (GGF).

Les droits des femmes autochtones sont des droits humains !

En associant les connaissances érudites aux résultats d’études et de travaux pratiques sur le terrain, l’auteure se propose de donner la parole à celles qui, à ce jour, ont été marginalisées ou réduites au silence pour préserver les structures de pouvoir existantes.

Par Naomi Lanoi Leleto

Selon l’étude mondiale de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture sur la situation des femmes et des filles autochtones, on estime à 477 millions le nombre d’Autochtones dans le monde, dont 238 millions de femmes. Globalement, elles représentent 6,2 pour cent de la population mondiale, mais aussi 15 pour cent du nombre de pauvres vivant sur la planète. Dans toutes les régions, la pauvreté est un problème pluridimensionnel touchant les femmes autochtones, problème qui constitue un grave obstacle à l’égalité et à la pleine jouissance des droits humains.

Malgré la réalité qui menace les femmes autochtones au quotidien, individuellement et collectivement, et notamment dans la sphère privée, elles ont établi la preuve de leur résilience et de leurs contributions en mettant leurs connaissances au service de leurs congénères et de l’humanité. À leur tour, elles remettent en cause les conditions extrêmement difficiles qu’elles connaissent aujourd’hui.

Marginalisation historique des violences faites aux femmes et aux filles

Le calvaire que subissent les femmes et les filles autochtones victimes de violences et de discriminations est extrêmement préoccupant et nécessite une attention immédiate. Elles subissent, à l’échelle mondiale et de manière disproportionnée, diverses formes de violence et de discrimination en raison de facteurs qui se recoupent tels que le genre, l’ethnicité et la situation socio-économique.

La prévalence exacerbée de la violence à l’égard des femmes et des filles autochtones, notamment de la violence physique et sexuelle, des violences conjugales, de la traite des personnes et des féminicides est extrêmement préoccupante. Les études montrent régulièrement que les femmes autochtones sont plus exposées à des actes violents que les femmes non autochtones et qu’elles rencontrent souvent des obstacles supplémentaires pour accéder aux services de soutien et à la justice.

À titre d’exemple, citons le Népal, nation himalayenne, dans laquelle les femmes et les filles autochtones sont particulièrement vulnérables à la traite des personnes. Beaucoup sont attirées par des promesses de meilleures possibilités d’emplois ou d’une meilleure éducation, et se retrouvent contraintes à la servitude domestique, à la prostitution ou au travail forcé. Par exemple, dans la communauté des Badis (dans le centre-ouest du district de Terai), de nombreuses femmes sont forcées de se prostituer, 30 à 40 pour cent d’entre elles étant des filles de moins de 15 ans.

La traite des jeunes femmes pour exploitation sexuelle, du Népal vers l’Inde, pose un problème particulier. Entre 5 000 et 7 000 jeunes Népalaises franchissent chaque année la frontière de l’Inde et, pour la plupart, finissent comme prostituées dans des maisons closes de Mumbai, Calcutta et New Delhi. Les femmes et les filles autochtones peuvent être exposées à des risques supplémentaires en raison de facteurs qui se recoupent tels que l’ethnicité, la pauvreté et le manque d’accès à l’éducation et aux soins de santé.

Après près de 20 ans d’actions collectives et de plaidoyer dans les sept régions socio-culturelles du monde, le mouvement des femmes autochtones a réussi à obtenir de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) qu’elle élabore une recommandation spéciale sur les droits des femmes et des filles autochtones.

La Recommandation générale 39 (GR39) encourage les femmes et les filles autochtones à prendre la parole comme agents du changement et comme leaders de leurs communautés, à l’intérieur comme à l’extérieur, et aborde les différentes formes de discrimination intersectionnelle fréquemment commises par les acteurs étatiques et non étatiques. Toutefois, elle reconnaît également le rôle clé des femmes autochtones comme leaders, dépositaires de connaissances et transformatrices de la culture dans leurs familles, villages et communautés.

La reconnaissance des droits collectifs dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones prend une importance particulière, surtout pour les femmes autochtones. Elle souligne la nécessité de faire face à la discrimination historique, comme indiqué dans la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes du comité des Nations unies qui met en lumière le déséquilibre historique entre les genres. Ces inégalités ont donné aux hommes une position dominante par rapport aux femmes et les ont amenés à des actes de discrimination à l’égard des femmes, situation encore exacerbée pour les femmes autochtones.

Par ailleurs, les femmes et les filles autochtones sont souvent exposées à des inadéquations et des insuffisances systémiques du cadre juridique et des systèmes de justice qui ne répondent pas à leurs besoins particuliers et n’offrent pas de réparations suffisantes pour les injustices dont elles sont victimes, perpétuant ainsi un cycle d’impunité et une plus grande marginalisation (voir encadré).

Alma, une femme autochtone de Guerrero, au Mexique, a subi des pressions de la part du personnel de l’hôpital la poussant à se faire stériliser après avoir accouché. Cette pratique est relativement courante dans la mesure où, rien qu’en 2017, 124 plaintes ont été déposées auprès de la Commission nationale des droits de l’homme. Toutefois, le nombre réel de cas est probablement plus élevé du fait qu’ils ne sont pas tous déclarés. La stérilisation forcée est un problème pour les femmes autochtones et ce pour diverses raisons : la discrimination qui pousse les médecins à ne pas sentir le besoin d’expliquer la procédure, ses risques et ses avantages, ou à ne pas demander l’autorisation de la patiente ; le manque d’accès à des services de santé ayant les capacités linguistiques de communiquer avec des femmes qui ne parlent que leur langue autochtone ; et les taux élevés d’analphabétisme chez les femmes autochtones des zones rurales.

Il est essentiel de reconnaître que la violence à l’égard des femmes et des filles autochtones est indissociable du contexte plus vaste de la colonisation et de la marginalisation historique. Bon nombre de coutumes néfastes et de rôles sociétaux dont sont victimes les femmes autochtones ne viennent pas des cultures autochtones elles-mêmes ; ils sont au contraire le produit d’héritages coloniaux qui cherchaient à supprimer les identités autochtones et à imposer les normes culturelles dominantes.

La colonisation a assimilé les communautés autochtones, contre leur gré, dans des systèmes eurocentriques qui dévaluaient les connaissances, les traditions et les rôles de genre autochtones. Ce processus a non seulement affaibli l’autonomie des sociétés autochtones, mais il a également facilité la perpétuation de la violence et de la discrimination à l’égard des femmes et des filles autochtones.

Il est essentiel de reconnaître le rôle de la colonisation dans la formation de ces dynamiques néfastes si on veut comprendre et essayer de résoudre les problèmes complexes auxquels les communautés autochtones sont confrontées aujourd’hui. Les efforts visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes autochtones doivent intégrer des approches de décolonisation donnant la priorité à l’autodétermination et à la revitalisation culturelle des populations autochtones.

Les droits des femmes autochtones à la terre et aux ressources naturelles

Il y a quatre ans, j’ai participé à un projet dans le comté de Turkana, dans le nord du Kenya. Ce projet visait à sensibiliser les femmes à la loi foncière communautaire de 2016 (Community Land Act 2016) et à leur besoin de participer au processus. Après un atelier de trois jours, un vieil homme qui avait accompagné sa femme à la session est venu me voir et m’a demandé : « Ma fille, comment ma propriété peut-elle posséder ma propriété ? »

C’est une croyance courante chez de nombreux hommes autochtones et l’idée que les femmes puissent avoir des droits fonciers indépendants est une anomalie pour eux. Après paiement d’une dot, une femme africaine est considérée être un bien mobilier de son mari, sa possession. La propriété n’a pas son mot à dire et ne peut pas formuler de politique ou de choix. Par contre, elle peut être déplacée, abandonnée ou démolie, et si elle rompt sous la charge, il est facile de la remplacer. Et il y a très longtemps que c’est comme ça pour les femmes. 

Si les femmes autochtones sont encore souvent perçues comme un bien, une analogie patriarcale profondément ancrée qu’elles-mêmes acceptent aujourd’hui suite au conditionnement et à la socialisation, elles n’en ont pas moins été au premier rang d’une lutte de longue date menée pour protéger leurs terres ancestrales et préserver leur identité depuis l’ère de l’invasion et de la colonisation. Elles forment de manière indépendante des organisations et des réseaux dans le monde entier et plaident infatigablement pour les droits des femmes et des filles. Dans le cadre de cérémonies spirituelles, elles participent à des pratiques de guérison et cherchent à être en harmonie avec la terre, encouragent l’établissement d’un lien profond avec les paysages terrestres et marins, lien qui met leur existence en conformité avec la nature.

Au Cap, le mouvement Ubuntu pour les femmes et les jeunes vivant en milieu rural (Ubuntu Rural Women and Youth Movement) a rencontré des problèmes considérables en raison d’activités extractives en mer. Il a indiqué à quel point ces activités ont durement affecté leurs communautés côtières en raison de l’interaction complexe entre les activités humaines et l’environnement. Avec leurs grosses machines et leurs méthodes d’extraction, les activités minières en mer perturbent les écosystèmes marins et entraînent un déclin des populations de poissons.

Cela a de graves conséquences non seulement sur la sécurité alimentaire, mais aussi sur les pratiques culturelles liées aux traditions de la pêche. En outre, la contamination de l’eau rend impraticables les pratiques de guérison traditionnelles et perturbe le patrimoine culturel transmis de génération en génération. Le bruit dérangeant produit par les explosifs et les machines perturbe un peu plus l’équilibre des écosystèmes, exacerbe la vulnérabilité des populations autochtones vivant le long des côtes et entrave leurs efforts de protection de leur patrimoine culturel.

Face aux activités minières, les femmes s’inquiètent car l’océan, avec lequel elles sont très liées et qu’elles appellent affectueusement « ma sœur », est affecté et, lorsque c’est le cas, elles le sont elles aussi. Par leurs chansons et les histoires qu’elles racontent, les femmes Ubuntu expriment leur profond attachement à l’océan et invitent tout un chacun à respecter la richesse et la complexité se côtoyant dans chaque femme. Exemple de ce que racontent les femmes Ubuntu :

Dans l’histoire de la nature, l’océan est un symbole poignant qui reflète la multitude d’états d’âme et de nuances de la femme. Oscillant entre calme et tempête, l’océan incarne la dualité inhérente à la femme dont il représente la sereine beauté et la formidable force.

En 2016, des femmes africaines originaires de différents pays et différentes régions ont uni leurs forces dans tout le continent pour lutter contre les injustices profondément ancrées. Leur ascension symbolique du Mont Kilimandjaro a signifié leur engagement à provoquer le changement et s’est soldé par la création d’une charte présentée à l’Union africaine et aux gouvernements africains. Cette initiative collaborative illustre la détermination inconditionnelle des femmes africaines à donner forme à un avenir plus juste pour elles et pour les générations à venir.

Cet effort conjoint est particulièrement important dans la mesure où les activités minières ont un impact disproportionné sur les femmes vivant en milieu rural et exacerbent les obstacles socio-politiques à l’accès à la terre et à la propriété foncière. Par exemple, la charte kenyane des droits fonciers des femmes vivant en milieu rural (Rural Women’s Land Rights Charter of Kenya) tient compte des préoccupations des femmes vivant en milieu rural et souligne l’importance des droits fonciers garantis et des moyens d’existence durables. Des femmes provenant de 24 comtés ruraux du Kenya ont contribué à l’élaboration de cette charte qui reflète leurs aspirations collectives à un avenir stable et prospère.

Reconnaissance du rôle décisif des femmes autochtones

Les difficultés et les obstacles peuvent varier d’un pays à un autre, voire de communauté à communauté, mais les femmes autochtones de pays en développement tels que la Tanzanie et le Pérou sont confrontées au même déséquilibre structurel en matière d’égalité de genre que leurs sœurs de Nouvelle-Zélande, de Norvège et du Canada.

Les statistiques et les observations fournies plus haut soulignent les difficultés considérables auxquelles sont confrontées les populations autochtones, notamment les femmes, dans le monde entier. Pour résoudre ces problèmes, il importe de reconnaître et respecter les droits des communautés autochtones, notamment des femmes, dans les processus décisionnels, au niveau local comme au niveau international. Il est essentiel de soutenir les mouvements autochtones et l’habilitation des femmes autochtones pour promouvoir la justice sociale, préserver le patrimoine culturel et réaliser le développement durable dans le respect des droits et de la dignité de tous.

Naomi Lanoi Leleto est coordonnatrice de programmes pour Global Indigenous Grantmaking et coordonnatrice du conseil consultatif du Global Greengrants Fund (GGF), où elle partage les connaissances collectives concernant l’octroi de subventions inclusives au profit des droits, de l’autodétermination et des travaux environnementaux des populations autochtones. Elle est également membre du conseil d’administration de International Funders for Indigenous People et de Seventh Generation Fund for Indigenous People. Naomi a préalablement travaillé comme responsable du programme Women Land Rights à la Kenya Land Alliance. Elle est titulaire d’une maîtrise en études juridiques, programme Indigenous Peoples Law and Policy, université de l’Arizona, États-Unis et d’un MBA de la Jomo Kenyatta University of Agriculture and Technology, Kenya.
Contact:  naomi@greengrants.org 

References

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United Nations, Department of Economic and Social Affairs, State of the World’s Indigenous Peoples, rights to Lands, Territories and Resources, Volume 5, Indigenous women and rights to lands, territories and resource, author: Naomi Lanoi Leleto, 2021.

European Union, Indigenous women, the heartbeat that keeps ancestral communities alive, 2022. See https://www.eeas.europa.eu/eeas/indigenous-women-heartbeat-keeps-ancestral-communities-alive_en

A delegation of African women farmers climbed to the top of Mount Kilimanjaro to demand their land rights. https://www.womentokilimanjaro.org/

https://actionaid.org/publications/2017/charter-demands-actualizing-womens-land-rights-africa

https://kenyalandalliance.or.ke/login/publications/images/Implementation_Framework_-_for_Print_Final_(2).pdf