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Insuffisance de la recherche agroalimentaire dans les pays touchés par le changement climatique
Face à l’insécurité alimentaire croissante – un quart de la population mondiale souffrant de la faim – et aux phénomènes météorologiques extrêmes dus au changement climatique, il faut transformer les systèmes alimentaires de toute urgence. On manque toutefois de preuves décisives sur les conséquences du changement environnemental et climatique dans les régions les plus touchées par ce phénomène, tout comme on manque d’études consacrées à l’autonomisation et l’inclusivité des femmes. Tel est le constat de Jaron Porciello, cofondatrice de la Juno Evidence Alliance, une plateforme mondiale de synthèse de preuves destinée à soutenir l’élaboration de politiques sur l’agriculture, les systèmes alimentaires et l’adaptation au changement climatique.
« Avec plus d’un million de documents scientifiques publiés annuellement, ce ne sont pas les études qui manquent » déclare Jaron Porciello lors d’une interview accordée à SciDev.Net. « Pourtant, en même temps, il semble que nous manquions d’études axées sur les pays dans lesquels l’insécurité alimentaire est la plus élevée. »
La Juno Evidence Alliance, une plateforme de collaboration entre l’organisation de recherche agricole CABI (l’organisation mère de SciDev.Net), Havos.Ai, une data-company basée à New York, et l’université de Notre-Dame, États-Unis, a eu recours à l’intelligence artificielle (IA) pour examiner la répartition de la recherche mondiale au cours des treize dernières années.
Elle a constaté que malgré une progression de 60 pour cent des publications scientifiques consacrées aux systèmes agroalimentaires pendant cette période, les niveaux de recherche scientifique visant les pays les plus pauvres et les plus vulnérables au changement climatique sont « extrêmement bas ».
Selon le rapport intitulé The State of the Field for Research on Agrifood Systems, certains pays, parmi lesquels de nombreux petits pays insulaires, font l’objet de moins de 1 000 publications s’appuyant sur des données factuelles provenant de plus de 35 000 revues.
Les Philippines, souvent considérées comme un des pays les plus touchés par les phénomènes atmosphériques extrêmes, ont fait l’objet de 12 443 publications entre 2010 et 2023, contre 185 319 pour le Canada pendant la même période.
L’analyse montre également que la recherche impliquant les parties prenantes de la chaîne de valeur agricole – par exemple les petites et moyennes entreprises et les petites exploitation agricoles – ne représente que huit pour cent de la recherche mondiale consacrée aux systèmes agroalimentaires.
Manque d’éléments de preuve
Selon Jaron Porciello, auteure principale du rapport, les études scientifiques effectuées par des universités, des centres de recherche nationaux et des institutions du CGIAR jouent un rôle essentiel dans la préparation des programmes de développement mondial et de sécurité alimentaire. « Il est cependant difficile de suivre les résultats, y compris en matière de sécurité alimentaire, dans les documents scientifiques. La recherche scientifique reste évaluée, communiquée et diffusée de manière très fragmentaire, document par document, sans être replacée dans le contexte de ce qu’elle signifie face aux autres études et connaissances qui existent, » ajoute-t-elle.
Afin de combler cette insuffisance, des chercheurs de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) et de l’Institut interaméricain de coopération pour l’agriculture (IICA) ont calculé le volume total de documents de recherche scientifique, par milliers, en fonction de l’orientation géographique de chaque article, avant d’analyser le nombre de publications scientifiques par million de personnes classées selon une échelle souffrant de modérément à gravement de faim.
Ils ont constaté que certains pays, dont le Nigeria, le Pakistan, l’Éthiopie, le Bangladesh et les Philippines comptaient moins de 3 000 publications par million de personnes souffrant de la faim sur les 13 dernières années.
Selon l’indice GAIN de l’université de Notre-Dame, bon nombre de ces pays sont également des pays parmi les plus vulnérables au changement climatique.
‘Préjugé tenace’
Les auteurs du rapport Juno considèrent que pour changer ces tendances, il faut remettre en question les normes appliquées depuis longtemps dans les sciences et les politiques. Ils font allusion au ‘préjugé tenace’ qui sous-tend les publications scientifiques et les systèmes de financement.
Ils recommandent notamment un accroissement de l’investissement destiné à soutenir la recherche originale dans les pays à faibles revenus – recherche tenant compte des dimensions écologiques, sociales et économiques des systèmes alimentaires. Ils considèrent qu’il est urgent que les donateurs donnent la priorité aux investissements dans les projets de recherche et les publications dirigés par des femmes, notamment dans les pays du Sud global.
Le rapport Juno conclut en disant que la résolution de ces problèmes exige des efforts concertés avec les donateurs et les éditeurs scientifiques afin « d’habiliter plus de chercheurs et de leur donner la parole ».
(SciDev.Net, Dann Okoth/wi)
Référence :
Jaron Parciello et al.: ” The State of the Field for Research on Agrifood Systems”, rapport Juno, Cabi Digital Library, juin 2024
Pour en savoir plus (en anglais) :