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Un monde sans faim – impossible sans la paix
Pendant deux jours, des experts internationaux se sont réunis à Berlin à l’invitation du ministère allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ) pour essayer de trouver de nouvelles approches permettant d’éradiquer la faim dans le monde. La récente initiative « One World – No Hunger » du ministère du Développement a été présentée à l’occasion de la conférence organisée à la fin du mois de mars. Cette initiative veut contribuer à l’éradication de la faim dans le monde d’ici à 2030.
« La faim est le plus important problème que le monde a les moyens de résoudre, » a déclaré M. Müller, ministre allemand du Développement, à l’ouverture de la conférence. Aujourd’hui déjà, le monde produit suffisamment pour nourrir de huit à dix milliards de personnes. Néanmoins, 550 millions de personnes souffrent de la faim en Asie, et 300 millions en Afrique. Les femmes, qui supportent l’essentiel de la charge de l’approvisionnement en nourriture, n’ont pas suffisamment droit à la terre et sont peu soutenues. La formation, l’éducation et la recherche ne sont pas suffisantes et ni les capacités de stockage ni la logistique ne sont suffisantes pour permettre aux récoltes d’atteindre les ménages par les filières normales. M. Müller a souligné que c’est ainsi qu’en Inde, par exemple, la moitié de la récolte pourrit. Le BMZ a l’intention de consacrer annuellement au moins 1,4 milliard d’euros au développement des zones rurales et à la lutte contre la faim.
L’aide à la gestion de la crise augmente
On connaît bien, et depuis longtemps, les causes et l’importance du problème de la faim. Ce qui est nouveau, c’est que le « problème persistant » de la faim est éclipsé par le nombre croissant de foyers de conflits. Mme Ertharin Cousin, directrice générale du Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies, a expliqué les conséquences de cette situation sur les activités du programme.
L’année dernière, le PAM a disposé de 5,4 milliards de dollars mais c’est 7,8 milliards qu’il lui en aurait fallu. Alors que le nombre de personnes souffrant de la faim avait diminué, le nombre de réfugiés avait augmenté et leur situation s’aggravait. Mme Cousin a cité le cas de cette mère syrienne de sept enfants qui avait erré pendant trois mois avant de trouver un camp où elle et ses enfants se sont sentis en sécurité. Le Liban et la Jordanie, qui sont eux-mêmes des pays pauvres, doivent accueillir des millions de personnes dénuées de toutes ressources et n’ayant accès à rien. Par ailleurs, il existe des foyers de conflits, par exemple le nord du Nigeria d’où des dizaines de milliers de personnes fuient vers les pays voisins du Cameroun ou du Tchad, ou encore le Sud Soudan qui a plongé dans la guerre civile à la suite de l’indépendance.
Sans nouvelles rentrées d’argent, les programmes de bons alimentaires du PAM pourraient prendre fin en mai et l’organisation pourrait manquer d’argent avant décembre 2015. Les conflits ne se contentent pas d’épuiser les « programmes normaux de lutte contre la faim », ils éclipsent également l’objectif visé de résoudre le problème de la faim d’ici à 2030.
Cet avertissement a été repris par Mme Bärbel Dieckmann, présidente de la Deutsche Welthungerhilfe (DWHH). « À long terme, les gens ne vont plus accepter de vivre dans l’insécurité, » a déclaré cette dernière. Il y a la menace de voir des jeunes sans moyens de subsistance rejoindre des mouvements radicaux et déstabiliser des régions entières pour l’équivalent de deux cents dollars US, a-t-elle expliqué, en citant la guerre civile qui fait rage en Syrie comme exemple de problème que le monde n’avait toujours pas résolu. Quatre ans plus tôt, personne n’aurait envisagé les crises qui touchent la Syrie et l’Ukraine orientale. Les prix des aliments augmentent en Ukraine et de moins en moins de personnes ont les moyens d’y faire face. Aujourd’hui, dans le monde entier, des « conflagrations » risquent de réduire à néant les progrès réalisés dans la lutte contre la faim et la pauvreté, a déclaré Mme Dieckmann.
Responsabiliser les instances locales
On connaît néanmoins des exemples d’efforts d’éradication de la pauvreté qui portent leurs fruits. C’est le cas lorsque les petites exploitations agricoles et les petites entreprises régionales sont en première ligne. Mme Dieckmann a décrit ce modèle de réussite et a expliqué que les bénéfices réalisés par ces entreprises restaient dans le pays et étaient localement réinvestis. Les gouvernements doivent créer les conditions leur permettant d’atteindre ces résultats eux-mêmes, car dans les pays en développement également, les écarts de revenus augmentent de plus en plus. Mme Dieckmann a précisé que pour créer des systèmes de sécurité sociale, les pays doivent mettre en place un système fiscal qui leur permet d’appliquer un programme de redistribution des richesses.
La période n’a jamais été aussi propice aux investissements dans l’agriculture et dans les régions rurales, a déclaré M. Ousmane Badiane, directeur pour l’Afrique de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) basé à Washington DC, États-Unis. Chaque investissement s’autofinance et assure un revenu aux personnes concernées. Par exemple, au Sénégal, en quelques années seulement et grâce à la création d’une association de commercialisation, de petits exploitants agricoles ont réussi à multiplier par trois leurs exportations de légumes vers l’Union européenne, sans avoir à augmenter les superficies cultivées. Néanmoins, l’avenir de l’agriculture passe par sa modernisation. M. Badiane a déclaré que tout ce qui pouvait améliorer la productivité au niveau local offrait à la population de nouvelles perspectives en matière de moyens de subsistance. Pour lui, cela vaut également pour le domaine controversé du génie génétique. L’Afrique doit participer plus activement au débat et présenter son propre point de vue.
La volonté politique et l’autonomisation comptent également
M. Michael Windfuhr, de l’Institut allemand des droits de l’homme, a déclaré qu’il fallait s’efforcer d’augmenter les revenus plutôt que d’améliorer la productivité. « Il faut mettre l’accent sur la façon de permettre aux agriculteurs de devenir plus productifs – c’est donc une question d’autonomisation et dans ce cas, ce n’est pas l’importance des sommes d’argent qui compte, mais la volonté politique d’investir, » a souligné M. Windfuhr qui a pris la question de la propriété foncière comme exemple. La précarité des conditions de propriété foncière est une des raisons pour lesquelles les petits exploitants agricoles n’investissent pas. Toutefois, selon M. Windfuhr, il ne suffit pas de distribuer des titres de propriété foncière. Cela pourrait avoir comme conséquence que le bien nouvellement acquis soit revendu. Au lieu de cela, il faut encourager les investissements publics dans l’infrastructure, l’éducation, la formation et le conseil pour permettre aux exploitants de gérer leurs terres. M. Windfuhr a souligné par ailleurs qu’il faut trouver de nouveaux moyens d’intégrer les groupes vulnérables, par exemple les femmes qui, jusqu’à ce jour, n’ont pratiquement pas accès aux terres ou les bergers-agriculteurs qui dépendent des terres collectives. « Nous devons veiller à ce que les investissements n’oublient pas les citoyens, » a déclaré M. Windfuhr lors de la réunion.
C’est précisément ce que craignent les organisations non gouvernementales telles que le réseau Inkota, VENRO et Oxfam. Bien qu’elles accueillent favorablement l’initiative de lutte contre la faim et la malnutrition du gouvernement fédéral allemand, elles critiquent son approche qui, en étroite collaboration avec le secteur privé, prévoit la création de 13 « centres d’innovation verte ». Elles soutiennent que le concept est trop technologique et qu’il oublie les intérêts des petits exploitants agricoles. Toutefois, les partenariats multipartites jouent également un rôle clé dans les objectifs de développement durable qui doivent être adoptés par la communauté internationale des États en septembre. Mme Ertharin Cousin cherche également à intégrer les entreprises privées dans la communauté mondiale responsable. Selon elle, le petit exploitant agricole ne souhaite pas rester coincé dans une économie de subsistance ; néanmoins, il a besoin d’un accès équitable aux ressources qui lui permettront de développer son exploitation.
Roland Krieg, Silvia Richter
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