« Subventions intelligentes » ? Examen critique du programme de subventionnement des engrais au Malawi

Initialement annoncé comme une grande réussite, il semblerait que le programme du Malawi visant à dynamiser l’agriculture grâce au subventionnement des engrais soit un échec. L’auteur examine ce qui n’a pas fonctionné en faisant valoir que les développements doivent être évalués en tenant compte du contexte politique.

Pendant plusieurs années à la suite de la saison agricole 2005/2006, le Malawi a fait la une des médias internationaux pour avoir été un précurseur de la mise en œuvre de subventions « intelligentes » qui ont brisé le cercle vicieux de la faim chronique et de la pénurie alimentaire. Pour la première fois en vingt ans, le pays pouvait nourrir sa population sans avoir recours à l’aide alimentaire ou à des importations commerciales de produits alimentaires.

Grâce au programme de subventionnement des engrais, les petits exploitants agricoles reçoivent deux sacs d’engrais de 50 kg, l’un pour l’enrichissement de fond et l’autre pour l’enrichissement de couverture, ainsi que 5 kg de semences hybrides et 2 kg de légumineuses. Ils ont accès à ces intrants en utilisant des bons qu’ils échangent contre ces produits dans des points de distribution désignés. Ce programme de subventions s’adresse à au moins la moitié du nombre total de familles d’agriculteurs estimé à trois millions. Il a été qualifié « d’intelligent » en raison du recours à des bons d’achat. L’argument avancé est que « l’intelligence » accroît les chances de voir les programmes de subventions échapper aux embûches (accaparement des ressources par les élites et manipulation politique) ayant caractérisé les subventions de la première génération. Malgré le fait que la réussite du programme ait été contestée et malgré le changement de gouvernement ayant suivi le décès du président Mutharika en avril 2012, la mise en œuvre du programme se poursuit.

Un exemple pour d’autres pays d’Afrique subsaharienne
Lors de la première saison de mise en œuvre du programme de subventions, le Malawi a dépassé de 500 000 tonnes ses besoins alimentaires annuels alors estimés à 2,1 millions de tonnes. Cette amélioration s’est poursuivie pendant six saisons agricoles consécutives et a incité Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations unies, à faire la remarque que le Malawi était passé de la faim au festin en peu d’années. La réussite apparente du programme a incité plusieurs pays subsahariens à envisager un retour aux subventions comme stratégie clé de revitalisation de leurs secteurs agricoles naissants. En 2011, par exemple, dix pays africains ont dépensé quelque 1,05 milliard de dollars US (USD) en subventions, soit l’équivalent de 28,6 pour cent de leurs dépenses publiques consacrées à l’agriculture.

Ironie du sort, la réussite du Malawi à l’origine de cette frénésie de subventions dans l’ensemble du continent s’effrite. Rien que cette année, les rapports indiquent que plus de 1,63 million de personnes, soit 11 pour cent de la population, sont confrontées à de graves pénuries alimentaires et qu’à la fin de 2013, le Malawi aura besoin de 30 millions de dollars US pour combler ce déficit. Par conséquent, le directeur du programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (Comprehensive Africa Agriculture Development Programme – CAADP) a déclaré que « l’agriculture africaine a besoin de fortes institutions locales pour éviter le type de bulle que nous avons vu éclater au Malawi, phénomène dû en grande partie à des facteurs exogènes ».
Il est donc particulièrement opportun d’examiner d’un œil critique le programme de subventionnement des engrais au Malawi. Ce programme a régulièrement été cité dans les débats internationaux sur la politique agricole et son apparente réussite fait aujourd’hui place à un certain pessimisme concernant la capacité des « subventions intelligentes » à éviter les conséquences néfastes des subventions de la première génération.

Le contexte historique
Le contexte historique du programme de subventions est très important. Il est né du consensus démocratique de la nation. Après deux famines dévastatrices successives à l’aube du nouveau millénaire, indépendamment des clivages politiques, tout le monde a été d’accord dans le pays pour dire que la mise en œuvre d’un système de subventionnement des engrais était la seule stratégie envisageable pour remettre l’agriculture du Malawi sur les rails. L’utilisation de bons a permis de cibler des bénéficiaires n’ayant absolument pas les moyens de se procurer des intrants. Au Malawi, la pauvreté étant extrême, générale et grave, le ciblage efficace du programme de subventions a considérablement contribué à vaincre le problème de la faible productivité de maïs qui rend cette culture peu rentable dans le pays.

Cette faible productivité est prépondérante dans la mesure où pratiquement tout le monde cultive du maïs alors que beaucoup n’ont pas accès aux intrants susceptibles d’améliorer les rendements et que ceux qui ont les moyens de se les procurer sont contraints d’investir plus dans la production de maïs en raison de la grande variabilité des prix du maïs d’une année à l’autre, ce qui en fait une entreprise très risquée. Le programme de subventions a amélioré les perspectives agricoles de la majorité des Malawiens qui ont ainsi pu résoudre ce problème en ayant accès à des intrants qu’autrement ils n’avaient pas les moyens de se procurer.
Comparativement à la plupart des programmes apparus depuis sur le continent, les avantages du programme de subventions étaient multiples. Ses premières années ont été soulignées par la volonté d’apprendre et d’innover. Ainsi, lorsqu’il a été menacé par le phénomène d’accaparement des ressources par les élites, le ciblage communautaire ouvert a été adopté pour améliorer la transparence et la responsabilité dans le choix des bénéficiaires. Cette mesure a été soutenue par une dynamique unité logistique du ministère qui a planifié tous les aspects du programme en faisant preuve d’une extrême prudence et de beaucoup d’intégrité.

L’utilisation de bons a contribué à l’accroissement progressif de la participation du secteur privé dans les activités agricoles. Ainsi, les distributeurs de semences ont fait en sorte que les exploitants aient accès à des produits de qualité, pratiquement à leur porte. Avant le lancement du programme, ils devaient parcourir de longues distances pour se procurer des semences si bien que la plupart d’entre eux se résignaient à utiliser des semences locales ou à recycler des semences hybrides. Depuis la saison agricole 2005–2006, lorsque le programme a été adopté, l’utilisation de semences hybrides est passée de 43 à environ 70 pour cent.

Dans l’ensemble, la réussite du programme a généré dans le pays un sentiment de fierté et de dignité. Pendant un certain temps, le Malawi n’a pas eu à mendier de la nourriture. Il était autosuffisant  et, une fois, il a même été en mesure de donner du maïs au Swaziland et au Lesotho. Ce sentiment de fierté était renforcé par le fait que le programme a mis le Malawi à l’honneur en tant qu’initiateur d’une révolution verte unique à ce jour en Afrique.

Qu’en est-il de la durabilité ?
Avec du recul, il est aujourd’hui possible de comprendre pourquoi le programme de subventionnement des engrais a d’abord été couronné de succès et pourquoi cette réussite a été éphémère. Les premières années, la nature de la politique a joué un rôle primordial et a pu offrir des enseignements utiles aux pays ayant déjà adopté la formule des subventions ou souhaitant le faire.
Les premières années, la réussite du programme de subventions a été essentiellement attribuable à l’insécurité politique à laquelle le défunt président Mutharika a été confronté pendant la première partie de son mandat. Il avait perdu le soutien du parti qui avait soutenu son élection à la présidence et avait fondé un nouveau parti qui n’avait aucune représentation parlementaire.
Face à un Parlement dominé par l’opposition, il lui était difficile, sinon impossible, de faire avancer un programme législatif significatif. C’est dans ce contexte qu’il s’est servi du programme de subventionnement des engrais pour obtenir un soutien politique en dehors du Parlement en tirant parti du fait que la sécurité alimentaire est au cœur de l’économie politique du Malawi. Elle constitue pratiquement la base d’un contrat social entre les citoyens et le gouvernement dans la mesure où on peut dire que le maïs est une culture nationale pratiquée par plus de 90 pour cent des ménages.

L’effondrement apparent du programme de subventions a coïncidé avec les victoires écrasantes de Mutharika et de son parti lors des élections de mai 2009. Ces victoires ont généralement été interprétées comme une façon de le récompenser d’avoir assuré la sécurité alimentaire grâce au programme de subventionnement des engrais. La grande question qui se pose aux électeurs du Malawi est de savoir si un gouvernement doit leur permettre d’avoir de quoi manger à leur faim en subventionnant la production ou en faisant en sorte que les prix du marché soient à leur portée. Ironiquement, cette victoire électorale sans précédent a altéré la façon dont les mesures d’incitation du gouvernement en faveur du rendement ont été perçues relativement au programme de subventionnement des engrais. Ce dernier est rapidement devenu synonyme de distribution d’avantages, notamment à ceux qui, a-t-on dit, avaient financé la campagne électorale de mai 2009. Ce constat a grandement contribué à anéantir la réussite du programme.

Il a notamment été démontré, selon une étude conjointe de la Banque mondiale et du gouvernement du Malawi menée en 2011, que les sociétés Mulli Brothers et Simama General Dealers, qui avaient ardemment soutenu le parti au pouvoir, avaient été d’importants bénéficiaires du programme. Elles avaient eu la possibilité d’importer des volumes d’engrais très supérieurs aux besoins et à des prix près de deux fois plus élevés que ceux des soumissionnaires les plus compétitifs. Par ailleurs, ces deux entreprises ont également monopolisé la distribution des engrais aux prix forts (de 30 à 34 kwachas malawites – MWK)/10 km, contre  22 MWK/10 km pour le secteur privé), ce qui a considérablement réduit la rentabilité et l’efficacité du programme de subventions.

L’exemple du Malawi montre que la nature des incitations politiques a une importance considérable pour la réussite ou l’échec des initiatives de subventions. Par conséquent, quels que soient les arguments techniques pour ou contre certaines positions politiques, c’est en fin de compte la configuration des intérêts politiques qui déterminent les résultats de la politique sur le terrain.

La réussite qu’a connue le programme de subventionnement des engrais au Malawi dans ses premières années a été une conséquence directe de l’alignement des incitations politiques et technocratiques. Il reste toutefois un important problème à résoudre, celui qui consiste à identifier ces moments opportuns qui semblent être associés à la fragilité et l’insécurité politiques des élites au pouvoir.


Blessings Chinsinga
Chancellor College
University of Malawi
Bchinsinga@cc.ac.mw

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