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Risques associés aux prix des denrées alimentaires et sécurité alimentaire
L’importante fluctuation des prix sur les marchés agricoles mondiaux en raison de la crise financière de 2007/2008 a suscité des inquiétudes quant à la stabilité et la fiabilité du système alimentaire mondial. La crise alimentaire mondiale de 1974 avait donné lieu à des investissements publics dans l’innovation agricole et suscité la création de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) et du Fonds international de développement agricole (FIDA). Mais, comme l’a expliqué Joachim von Braun, directeur du centre de recherche pour le développement (ZEF), lors d’un séminaire public organisé à Bonn à la mi-février et consacré aux risques associés aux prix des denrées alimentaires, à la sécurité alimentaire et au G20, ainsi qu’aux enseignements politiques à tirer d’un nouveau livre (Food Price Risks, Food Security and G20 – Policy lessons from a new book), les Nations unies ont réagi moins rapidement à la crise alimentaire de 2007/2008 et les institutions ont mis du temps à mettre des réformes en œuvre ou, lorsqu’elles l’ont fait, ces réformes sont restées incomplètes. Monsieur Von Braun a également opposé la lenteur des progrès réalisés pour remédier à la crise alimentaire de 2007/2008 à l’évolution rapide de la politique économique. La déréglementation s’accélérait alors que l’élection de Donald Trump aux États-Unis pourrait annoncer un accroissement du protectionnisme.
Ce séminaire a attiré l’attention sur une nouvelle publication intitulée « Food Price Volatility and its Implications for Food Security and Policy » (la volatilité des prix des denrées alimentaires et ses implications pour la sécurité et la politique alimentaires) et signée par Matthias Kalkuhl, Joachim von Braun et Maximo Torero. Ce livre présente les résultats de cinq années de recherche intensive et collaborative effectuée par le ZEF de l’université de Bonn et par l’IFPRI, et mettant l’accent sur la question de la stabilité de la sécurité alimentaire, les causes et conséquences des événements extrêmes sur les marchés alimentaires, et sur ce qui peut être fait pour s’y opposer.
Matthias Kalkuhl, professeur (changement climatique, développement et croissance) à l’université de Potsdam, a parlé des nouveaux facteurs de la volatilité des prix des denrées alimentaires que sont la financiarisation, les transactions immobilières, les répercussions de la stratégie cross-asset et les contrats à terme. La spéculation, bien qu’elle représente de 20 à 30 pour cent de l’augmentation des prix, ne semble pas avoir le même impact sur la volatilité des prix. Les cours mondiaux des produits de base semblent avoir une incidence variable sur les prix des denrées alimentaires sur les marchés intérieurs. À plus long terme, des prix plus élevés entraînent un accroissement des investissements et la création d’emplois. Les prix des denrées alimentaires impactent la consommation de diverses façons et peuvent également avoir une incidence sur les prix des produits non alimentaires. En 2008, le prix du blé afghan a augmenté de 50 pour cent et a entraîné une réduction de 40 pour cent de la consommation, ce qui n’a pas empêché les plus pauvres de rester au-dessus du seuil d’apport calorique.
L’accès aux informations sur les prix peut contribuer à lutter contre la volatilité
Lors du séminaire, Mekbib Haile, co-auteur du livre et chercheur senior au ZEF, a déclaré que la période 2006–2010 avait connu d’énormes augmentations des prix ainsi qu’un accroissement de la volatilité comparativement aux 20 années précédentes, et il a noté que, contrairement aux augmentations des prix, la volatilité n’encourageait pas les investissements. Par ailleurs, l’approvisionnement alimentaire à l’échelle mondiale réagissait de manière positive à l’augmentation des prix des produits alimentaires, mais pas à leur volatilité. Dans le sillage de la crise alimentaire de 2008, la volatilité a plus que réduit à néant la croissance de la production mondiale de blé suscitée par l’augmentation des prix. Les agriculteurs avaient besoin d’accéder plus facilement aux informations sur les prix pour réduire les erreurs de prévision. La recherche a montré que cela vaut surtout pour les agriculteurs relativement jeunes et pour ceux qui vivent loin des marchés. D’une manière générale, lutter contre la volatilité grâce à la disponibilité d’informations plus fiables pourrait améliorer la sécurité alimentaire.
Présent au séminaire grâce à un lien vidéo avec Lima, Pérou, Maximo Torero, directeur exécutif pour les pays d’Amérique du Sud à la Banque mondiale et ancien directeur de division à l’IFPRI, a fait allusion à certaines tendances générales du développement international. Il a déclaré que d’importants chocs climatiques pouvaient exacerber la volatilité des prix, le risque potentiel n’étant pas seulement une augmentation de la température, mais aussi un changement climatique. Les famines semblent de plus en plus fréquentes. L’économie mondiale était prête à être multipliée par deux, voire par trois, d’ici à 2050, 60 pour cent des pauvres du monde vivant alors dans des pays fragiles. Monsieur Torero a insisté sur le fait que l’accès à l’alimentation était primordial, la souveraineté alimentaire passant au second plan, et il a prévenu que les droits à l’importation pouvaient constituer une lourde charge pour les pauvres. Il a salué l’internationalisation des marchés alimentaires et l’application de politiques favorables au marché améliorant la disponibilité des produits alimentaires, mais il a également prévenu que l’ouverture des échanges était source d’inégalités accrues. Par ailleurs, des instruments tels que le système d’information sur les marchés agricoles (SIMA), mais aussi les assurances, pouvaient accroître la résilience.
Stefan Schmitz, directeur général adjoint du ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ), a demandé une amélioration de l’infrastructure et plus d’innovations dans le secteur alimentaire. La présidence allemande du G20 a mis l’accent sur le travail des jeunes et, Gerhard Müller, ministre du Développement, a souhaité un accroissement des investissements privés, bien que cela nécessite généralement un meilleur fonctionnement des marchés.
Sommes-nous mieux préparés aujourd’hui ?
La discussion a essentiellement été axée sur le fait de savoir si le monde était aujourd’hui mieux préparé à réagir aux crises alimentaires. Monsieur Kalkuhl a fait valoir qu’il y avait eu des améliorations, par exemple la création du SIMA, mais que les pays en développement devaient encore améliorer leur protection sociale, ce qui, en contrepartie, nécessitait plus de financement. Monsieur Haile a soutenu que les pays étaient aujourd’hui mieux préparés et qu’ils réagissaient mieux et accordaient plus d’attention au secteur alimentaire. Monsieur Torero a été moins optimiste. « Nous avons simplement eu beaucoup de chance, » a-t-il déclaré. « Les pays ne sont pas vraiment préparés à affronter l’incertitude. Il importe de renforcer la résilience alimentaire. » Ces propos ont obtenu l’appui de Monsieur Schmitz. « Il faut que la résilience soit au centre de la coopération au développement, » a-t-il indiqué. « Nous devons aider les pays à faire face aux incertitudes. »
Pour en revenir à la volatilité des prix, Monsieur von Braun a fait remarquer que si la spéculation n’avait pas d’importance en temps ordinaire, elle agissait comme amplificateur de flambée des prix. Il a également fait remarquer qu’immédiatement après la signature par Donald Trump, président des États-Unis, d’une directive visant à revenir sur la loi Dodd-Frank adoptée par le Congrès américain pour protéger les consommateurs contre les mauvais investissements, réapparaissaient des « instruments financiers douteux » qui perturbaient les marchés alimentaires et autres. Par ailleurs, Monsieur von Braun a mis en garde contre l’imminence d’un protectionnisme susceptible d’entraver les investissements tellement nécessaires dans l’agriculture.
Mike Gardner, journaliste, Bonn/Allemagne
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