Session plénière au Sommet mondial de la bioéconomie 2024. De gauche à droite : Lucia Pittaluga et Ben Durham (tous deux de l’IACGB), qui ont présidé la session, et Jean Jacques Muhinda, Peggy Oti-Boateng et Peter Minang, intervenants.
Photo: BioInnovate Africa

L’économie biosourcée a besoin d’un soutien accru

Depuis le premier Sommet mondial de la bioéconomie organisé en 2015, plusieurs pays ont lancé des initiatives visant à ouvrir la voie à une économie biosourcée destinée à remplacer l’économie fondée sur les combustibles fossiles. Les acteurs se sont récemment réunis à Nairobi au Kenya pour discuter des résultats obtenus et des difficultés rencontrées.

Le Sommet mondial de la bioéconomie2024, qui s’est déroulé fin octobre à Nairobi au Kenya, avait pour slogan « Une seule planète – Des solutions bioéconomiques durables pour relever les défis mondiaux » (One Planet – Sustainable Bioeconomy Solutions for Global Challenges). D’une durée de deux jours, la conférence portait sur la capacité de la bioéconomie à décarboner l’économie et à renforcer la résilience au changement climatique tout en préservant la biodiversité, en améliorant la sécurité alimentaire et la nutrition, en luttant contre les problèmes de santé et en favorisant la croissance économique. Des représentants de la sphère politique, du monde scientifique et de la société civile ont discuté des résultats obtenus et des obstacles rencontrés dans leur volonté de remplacer l’économie fondée sur les combustibles fossiles par une économie biosourcée. Des entreprises du monde entier sont également venues présenter leurs solutions biosourcées, qui portent notamment sur la réduction des déchets alimentaires, le traitement des eaux usées ou la production de médicaments basée sur l’intelligence artificielle.

Rendre les activités bioéconomiques attractives pour les entreprises privées

À ce jour, plus de 60 pays ont adopté des stratégies nationales de bioéconomie, auxquelles viennent s’ajouter trois stratégies régionales. La stratégie de bioéconomie pour l’agriculture du Mexique est utilisée comme exemple ici. Dans un message vidéo, Julio Berdegué Sacristán, ministre mexicain de l’Agriculture et du Développement rural, a présenté les trois grands objectifs de cette stratégie, qui permettra notamment d’ajouter de la valeur aux près de 70 millions de tonnes de biomasse que la production agricole du pays accumule chaque année et de stimuler les investissements du secteur privé. Aucune subvention ne sera accordée aux entreprises, qui pourront toutefois bénéficier d’un appui indirect, par exemple au travers d’investissements dans les infrastructures nécessaires (eau, énergie, transport). Le ministre a annoncé que les petites et moyennes entreprises qui œuvrent en faveur de l’agroécologie (production de bioengrais, etc.) bénéficieront d’une assistance financière et technique « pour les aider à se développer et à se consolider ».

Espoirs suscités par « la première présidente scientifique active »

Comme tous les autres intervenants de la conférence, Berdegué Sacristán a expliqué que le seul moyen de renforcer la bioéconomie consiste à améliorer et à élargir la recherche scientifique et technologique. Des actions en ce sens seront menées par le nouveau ministère des Sciences, des Technologies et de l’Innovation, créé à l’initiative de Claudia Sheinbaum, nouvelle présidente élue le 1er octobre. Physicienne et ingénieure environnementale, Mme Sheinbaum est non seulement la première femme à présider aux destinées du Mexique, mais également, selon les mots du ministre, « la première présidente scientifique active ».

Inciter les jeunes chercheurs à se rendre sur le terrain

Peggy Oti-Boateng, directrice exécutive de l’Académie africaine des sciences, a également insisté sur la nécessité de moderniser les infrastructures de recherche. Alors que l’accélération de l’agenda scientifique et technologique était au cœur de l’Agenda 2063 de l’Union africaine, peu de choses ont changé depuis dix ans. Pour se doter d’une masse critique d’innovateurs, le continent doit renforcer ses capacités et s’intéresser à des secteurs jusque-là négligés, par exemple l’économie océanique. En faisant référence au travail exemplaire des jeunes scientifiques, Oti-Boateng a expliqué combien il est important de s’assurer que ces chercheurs ne se cantonnent pas au travail de laboratoire, mais qu’ils s’intéressent également au marché. « Nous devons créer des liens entre l’économie et la science ouverte », a-t-elle indiqué.

Goulet d’étranglement au niveau de l’appui financier et politique

Les intervenants ont convenu que, même si de nombreux pays reconnaissent le rôle de la bioéconomie sur le plan scientifique, sa mise en œuvre se révèle souvent difficile. Un des principaux obstacles à cette évolution est lié au fait que les solutions de bioéconomie demandent beaucoup de temps et d’argent. C’est une des constations qui est ressortie des projets sur l’agroécologie et l’agriculture régénératrice menés par l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) en collaboration avec la coopération allemande au développement et la Fondation Care. « Une intervention est nécessaire pour aider les agriculteurs à adopter et à développer des pratiques durables, a expliqué Jean-Jacques Muhinda, directeur régional de l’AGRA pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Sud. Si vous voulez convaincre les décideurs politiques de soutenir les nouvelles pratiques, vous devez apporter des preuves pour justifier les initiatives d’investissement et montrer leur potentiel de création d’emplois. »

Rendre la bioéconomie inclusive

Peter Minang, directeur du CIFOR-ICRAF, a insisté sur le potentiel des forêts, qui peuvent générer de la valeur tout en apportant les services écosystémiques dont les pauvres ont besoin. « Nous devons mettre la pauvreté au cœur des débats », a-t-il indiqué en référence au contexte africain et, plus particulièrement, à la croissance démographique rapide enregistrée dans le bassin du Congo. Anamika Dey, PDG du réseau indien GIAN (Grassroots Innovation Augmentation Network), a également insisté sur la nécessité de s’assurer que les populations pauvres ne sont pas exclues des évolutions. Pour cela, l’agenda de la bioéconomie doit promouvoir un apport de valeur maximal au niveau local, garantir le partage des bénéfices avec les communautés locales, particulièrement avec les femmes, et insister sur le renforcement des capacités des communautés locales.

Faire l’inventaire des connaissances autochtones

Comme Anamika Dey, Mónica Trujillo, directrice de l’initiative Governing Bioeconomy Pathways de l’Institut de l'environnement de Stockholm (SEI), a appelé de ses vœux la documentation systématique et approfondie des connaissances traditionnelles afin d’éviter qu’elles ne soient ignorées. Ce savoir s’est d’ailleurs souvent avéré être une source d’informations précieuse pour résoudre les problèmes actuels. Mme Trujillo cite notamment l’exemple de l’utilisation du biochar pour capter le CO2. Originaire d’Amazonie, cette méthode a été développée et mise en œuvre il y a environ 2 500 ans par les populations autochtones pour enrichir les sols afin qu’ils restent fertiles pendant plusieurs décennies (la méthode est Serra Preta, ce qui signifie « terre noire » en portugais). Fortunate Muyambi, Secrétaire exécutif adjoint de la Commission est-africaine pour la science et la technologie au Rwanda, a expliqué que son organisation avait commencé à faire l’inventaire des connaissances traditionnelles et à créer une base de données pour les stocker. Il a insisté sur l’importance de la protection des droits de propriété intellectuelle à ce niveau.

Ne pas surestimer le potentiel de création d’emplois

Malgré l’enthousiasme suscité par le potentiel de l’économie biosourcée, des critiques ont également émergé. « J’ai de réels doutes sur la qualité et la quantité des emplois verts que la bioéconomie est susceptible de créer », a expliqué Lucía Pittaluga, professeure à l’université technologique de l’Uruguay et membre de l’IACGB (International Advisory Council on Global Bioeconomy). Ses recherches sur l’innovation dans l’agriculture (et dans les forêts) ont montré que le développement numérique remplaçait beaucoup de tâches, aidant par exemple à attirer les jeunes vers l’agriculture. Rien ne permet toutefois de prouver que la quantité d’emplois verts créés sera à la hauteur des besoins des pays du Sud, sachant évidemment que : « ces emplois doivent être décents ».

Communiqué du Sommet mondial de la bioéconomie 2024

Dans son communiqué final 2024, l’IACGB (International Advisory Council on Global Bioeconomy) a émis les recommandations suivantes :

  • Intégrer des stratégies de bioéconomie à la politique économique
  • Créer un partenariat mondial sur la bioéconomie pour rassembler les différentes initiatives existantes et partager les points de vue
  • Faciliter le développement de normes et de réglementations permettant aux innovations bioéconomiques d’accéder rapidement et largement aux marchés.
  • Aider les initiatives régionales et locales à se développer et à s’intégrer à la bioéconomie mondiale
  • Inclure l’apprentissage des principes de la bioéconomie à tous les niveaux d’enseignement

À propos de la bioéconomie et du Sommet mondial de la bioéconomie
Le Sommet mondial de la bioéconomie est organisé par l’IACGB (International Advisory Council on Global Bioeconomy) depuis 2015 avec l’aide des pays partenaires concernés. Le Sommet a pour objectif de favoriser le dialogue entre les différentes parties prenantes de ce secteur multidisciplinaire, de promouvoir l’échange de bonnes pratiques et d’identifier les possibilités de collaboration et d’innovation. Les éditions 2015, 2018 et 2020 du Sommet se sont tenues à Berlin en Allemagne. Cette année, le Quatrième Sommet mondial de la bioéconomie a été hébergé par la Commission est-africaine pour la science et la technologie (EASTECO), sous l’égide de la Communauté d’Afrique de l’Est, du Centre international pour la physiologie et l’écologie des insectes (ICIPE)/BioInnovate Africa et de l’Institut de l'environnement de Stockholm (SEI).

L’IACGB définit la bioéconomie ainsi : « La bioéconomie désigne la production, l’utilisation, la conservation et la régénération de ressources biologiques et des connaissances, données scientifiques, technologies et innovations associées, dans le but de fournir des solutions durables (informations, produits, processus et services) à tous les secteurs de l’économie et de favoriser la transition vers une économie durable. La bioéconomie n’est pas une notion statique, sa définition évolue donc constamment. »

Silvia Richter, Rural 21

Pour plus d' information:

Site Internet de l'IACGB (International Advisory Council on Global Bioeconomy)

AKADEMIYA 2063 Report: « Advancing the climate and bioeconomy agenda in Africa for resilient and sustainable agrifood systems » (en anlgais)

Rural 21 Dossier spécial  « Bioéconomie »

 

 

 

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