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La politique agricole de l’Europe est-elle appropriée pour le développement ?
Depuis ses débuts en 1962, la Politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne est en perpétuelle évolution. Alors qu’un de ses tout premiers objectifs était de faire en sorte que l’Europe d’après-guerre ne manque pas de nourriture, l’agriculture s’est trouvée confrontée à des lacs de lait et des montagnes de beurre. L’argent public servait à subventionner la vente d’énormes excédents, ce qui ne manquait pas de perturber le marché.
Aujourd’hui, il n’y a plus de subventions à l’exportation et, à l’exception des armes, les pays les plus pauvres peuvent exporter ce qu’ils veulent dans l’UE sans avoir à payer de droits. La question de savoir si cela veut vraiment dire que la PAC (dont la prochaine réforme est prévue pour 2020) est « appropriée pour le développement » a été examinée par la commission du développement (DEVE) du Parlement européen à Bruxelles, Belgique, fin février 2018.
Les exportations menacent le marché du lait au Burkina Faso
L’approche axée sur la production était encore au centre de la nouvelle PAC, a critiqué Olivier de Schutter, vice-président du panel international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPS-Food), à Bruxelles. Adama Diallo, éleveur-producteur laitier et président de l’union nationale des mini-laiteries et des producteurs de lait local au Burkina Faso (UMPL-B), a expliqué ce que cela signifiait pour les producteurs de l’hémisphère sud.
Avec neuf millions de vaches laitières, le secteur représente 17 pour cent des recettes brutes du pays. Depuis les années 1990, de nombreuses micro-laiteries transformant chacune de dix à 2 000 litres de lait par jour ont été créées. L’accroissement de la demande de produits laitiers est intéressant, non seulement pour les petits exploitants, mais aussi pour les sociétés internationales qui exportent du lait en poudre au Burkina Faso. Selon Adama Diallo, ces sociétés n’ont que cinq pour cent de droit à payer et les producteurs laitiers locaux ne sont pas suffisamment protégés. Alors que le lait local coûte environ 500 francs CFA le litre, la même quantité de lait préparée avec de la poudre de lait écrémé ajoutée d’huile de palme ne coûte que 250 francs CFA.
Adama Diallo a déclaré à la commission que ce prix de dumping freinait le développement des structures sociales et empêchait le Burkina Faso de créer sa propre filière, obligeant ainsi le pays à dépendre d’importations de produits alimentaires. Adama Diallo demande à son gouvernement d’appliquer des mesures d’accompagnement de la production de lait dans son pays et à l’Union européenne de stopper les exportations de lait écrémé.
Le principe de cause à effet plus compliqué que prévu
Selon Maria Blanco, économiste agricole à Madrid, Espagne, il n’a pas été facile du tout de déterminer les impacts négatifs de la politique agricole commune de l’Union européenne dans les pays en développement. Maria Blanco a examiné la dernière période de financement de la PAC relativement à ces impacts. Dans le contexte du marché agricole mondial, la PAC a eu moins d’effet sur les prix et les quantités qu’on le pensait généralement. Maria Blanco a néanmoins soutenu qu’il faudrait que certains éléments changent. Malheureusement, les États membres se sont à nouveau fermement prononcés pour les paiements couplés, ce qui a contribué à maintenir la production à un niveau constant et à mettre la pression sur les prix pour les agriculteurs, dans et hors de l’Union européenne. Maria Blanco a toutefois félicité l’Allemagne de ne plus avoir de paiements couplés à la production.
Néanmoins, cela n’est pas pour autant une garantie de croissance. En effet, selon Maria Blanco, lorsque les paiements ne dépendent pas de la production, moins d’aliments protéiques pour animaux sont produits et la demande doit être couverte par les importations, ce qui met la pression sur les ressources naturelles des pays de la région. Par conséquent, pour Maria Blanco, il faut clairement déterminer quels produits sont soutenus par des paiements couplés, dans quelles régions et pour combien de temps. Elle soutient que les traités mondiaux de l’Agenda 2030 et l'Accords de Paris sur le climat fournissent un cadre pour une politique de développement cohérente dans lequel la PAC serait un élément parmi d’autres, et conclut qu’une approche sectorielle est plus importante que le fait de mettre uniquement l’accent sur la PAC elle-même.
Un appel à la sécurité alimentaire régionale décentralisée
Olivier de Schutter a fait des distinctions entre plusieurs groupes de personnes pauvres et de personnes souffrant de la faim. La majorité d’entre elles, environ 300 millions, vivent dans les bidonvilles de grandes villes et ne produisent pratiquement aucun produit alimentaire. Les administrations locales n’ont que des produits importés à leur fournir.
Le groupe suivant en importance est constitué par les petits exploitants agricoles dont le potentiel de production, selon Olivier de Schutter, n’est pas encore pleinement exploité. Les petits exploitants tels que Adama Diallo produisent pour le marché local mais n’ont pratiquement aucune chance d’avoir accès à l’ensemble du marché national. Dans de nombreux pays, ils sont en concurrence avec le plus petit groupe d’agriculteurs qui sont intégrés dans la chaîne de valeur et produisent des cultures commerciales destinées à l’exportation. Quarante-cinq pour cent du soja cultivé à l’échelle mondiale sont exclusivement destinés à l’exportation, et les chiffres sont similaires pour le maïs et le sucre.
Alors que le marché international fait que ces cultures sont surtout cultivées dans certains pays, Oliver de Schutter a soutenu qu’on ne peut pas parler d’équilibre entre les pays dont la production alimentaire est excédentaire et ceux dont elle est déficitaire. Il a expliqué que les produits agricoles vont là où le pouvoir d’achat est le plus fort. Dans le contexte du changement climatique, la décentralisation et la régionalisation de la sécurité alimentaire sont la meilleure solution.
Il est essentiel d’accroître la productivité
Harald von Witzke, économiste agricole à Berlin, a expliqué que dans l’Union européenne, la production agricole et les habitudes alimentaires exigent, pour la production alimentaire humaine et animale, l’utilisation d’environ 30 millions d’hectares de terres dans d’autres pays. Il pense que l’extensification de l’agriculture par le biais de l’agriculture biologique n’est pas la bonne solution. Si, en Europe, l’agriculture était à 100 pour cent biologique, la superficie virtuelle utilisée pour les importations atteindrait 70 millions d’hectares.
Harald von Witzke a conseillé d’accroître la productivité dans la superficie totale cultivée actuelle et d’avoir recours aux innovations disponibles en matière de pesticides et d’herbicides, de génie génétique et de numérisation, ainsi qu’aux semences et engrais modernes, aussi bien en Europe que dans les pays en développement. La condition préalable à cela est le libre accès aux ressources. Il est aujourd’hui évident que parmi les pays et régions en développement, ceux qui peuvent faire valoir une bonne gouvernance, une économie de marché et une main-d’œuvre qualifiée sont ceux qui progressent le plus.
Roland Krieg, journaliste, Berlin/Allemagne
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