Lorsque les produits d’assurance ciblent les ménages, ils attirent davantage les femmes.
Photo: Zerihun Sewunet/ ILRI

Assurance du bétail – la promesse d’un outil de renforcement de la résilience pour les communautés pastorales

Sur fond de changement climatique, les programmes d’assurance deviennent de plus en plus importants pour les éleveurs. En collaboration avec des partenaires du secteur public, du secteur privé et d’organisations à but non lucratif, l’Institut international de recherche sur l’élevage a mis au point un programme d’assurance indexée qui protège les éleveurs contre les pertes liées au climat dans les régions arides et semi-arides les plus vulnérables à la sécheresse. Une première expérimentation du programme a donné des résultats prometteurs.

Par Rupsha R Banerjee et Kelvin Shikuku

Les animaux tiennent une place importante dans les moyens de subsistance ruraux des pays du Sud global où ils constituent une source de revenus et d’emploi et servent de filet de sécurité sociale aux pauvres (particulièrement aux femmes) et aux communautés pastorales en général, tout en offrant une source d’alimentation aux populations urbaines et rurales.

Les animaux sont toutefois particulièrement vulnérables aux chocs climatiques et aux effets associés, ce qui affecte les communautés qui en dépendent, que ce soit pour leur subsistance, leur protection sociale, leur alimentation ou leurs revenus, et rend les ménages, les communautés et les économies elles-mêmes extrêmement vulnérables, les entraînant vers la pauvreté et la marginalisation.

L’assurance bétail permet de réduire cette vulnérabilité qui touche à la fois les femmes, les hommes, les ménages et les entreprises, sachant que plus d’un milliard de personnes dépendantes de l’élevage sont confrontées à de multiples aléas climatiques. Cette solution devient encore plus cruciale lorsque l’on sait qu’une infime partie seulement de l’investissement pour le climat est destinée au développement des systèmes basés sur l’élevage.

Deux types de programmes d’assurance

En ce qui concerne l’élevage, il existe deux types de produits d’assurance : i) l’assurance conventionnelle basée sur les indemnités et ii) l’assurance indexée. L’assurance conventionnelle est basée sur les pertes et les dommages réels subis par l’agriculteur ou l’éleveur, qui est indemnisé pour la perte de son animal en cas de maladie, d’attaque de prédateur et/ou de vol. Ces programmes s’appliquent principalement aux systèmes laitiers ou agropastoraux.

Basée sur des indicateurs météorologiques ou de végétation, l’assurance indexée est particulièrement adaptée aux systèmes extensifs tels que ceux utilisés dans les régions pastorales qui abritent des éleveurs nomades et semi-nomades. Dans le cas précis de l’assurance bétail indexée, ces produits ont été conçus pour protéger les éleveurs pastoraux en cas de sécheresse. L’indice est basé sur le taux de fourrage disponible qui, lorsqu’il descend en dessous d’un seuil prédéfini, déclenche le paiement d’indemnités qui augmentent proportionnellement au degré de pénurie de fourrage.

Le système s’appuie sur l’idée selon laquelle lorsque le fourrage est rare, les ressources en pâturage s’épuisent rapidement, ce qui conduit à une détérioration des conditions de vie du bétail et donc à une mortalité accrue. Les éleveurs pastoraux peuvent utiliser les indemnités pour prendre des décisions de production visant à limiter les pertes d’animaux pendant la sécheresse, notamment en achetant du fourrage, de l’eau ou des services vétérinaires. L’indice est dérivé des données des indices de végétation par différence normalisée (IVDN).

L’assurance indexée est avantageuse pour plusieurs raisons. Sachant que les indemnités ne sont pas basées sur les dommages subis par l’exploitation agricole, mais sur un indice objectif, les coûts de transaction sont réduits et les problèmes de sélection adverse et d’aléa moral, qui pèsent sur l’assurance basée sur les indemnités, sont atténués. Les dépenses administratives sont limitées, ce qui permet de réduire les primes d’assurance qui deviennent ainsi plus abordables pour les petits exploitants et les éleveurs pastoraux.

En outre, sachant que l’assurance est basée sur des informations fiables et vérifiables de manière indépendante, la réassurance est relativement simple et les compagnies d’assurance peuvent transférer une partie du risque sur les marchés internationaux. Ces dernières années, l’Institut international de recherche sur l’élevage (ILRI) et ses partenaires ont élaboré un système d’assurance de ce type.

Le secteur privé (compagnies d’assurances) a joué un rôle majeur dans la mise en œuvre de l’assurance bétail indexée en proposant le produit aux clients (en l’occurrence des éleveurs pastoraux) tandis que l’ILRI se chargeait de rechercher des partenaires de développement répondant aux besoins de l’offre et de la demande. L’ILRI a également servi d’intermédiaire entre différents acteurs (monde universitaire, secteur privé, secteur public, organisations de mise en œuvre, organisations humanitaires, etc.) pour favoriser le développement du marché, le renforcement des capacités, l’adoption et le déploiement à grande échelle dans les terres de parcours d’Afrique de l’Est.

Impacts pour les ménages et les communautés

Pour comprendre ce que l’assurance bétail indexée apporte en matière de changement des comportements et d’avantages sociaux des ménages et des communautés, un panel a été créé au Kenya et en Éthiopie pour recueillir des données auprès des ménages sur différents indicateurs de bien-être. L’enquête a montré qu’en cas de sécheresse, les ménages disposant d’une assurance bétail indexée obtiennent de meilleurs revenus et une meilleure production laitière et qu’ils ont 27 pour cent à 36 pour cent moins de chances de sauter des repas et 22 pour cent à 36 pour cent moins de chances de vendre du bétail – une pratique connue sous le nom de « vente à tout prix » car elle a lieu à une période où les prix sont au plus bas.

L’assurance bétail indexée permet également d’augmenter les investissements dans les animaux en tant que bien productif. Une étude menée au Kenya a montré que, sur une période de trois ans avec assurance bétail indexée, la moyenne des dépenses vétérinaires a doublé et les ventes de bétail hors sécheresse ont augmenté de 46 pour cent en moyenne. Ces éléments, combinés aux changements apportés aux stratégies de production chez les assurés, semblent porter des fruits puisqu’ils sont synonymes d’augmentation de la production de lait et d’amélioration de la valeur totale du lait produit.

D’autres indicateurs de bien-être ont également progressé, avec notamment une hausse des revenus des ménages par équivalent adulte et une amélioration du périmètre brachial, un solide indicateur de malnutrition infantile. Même en l’absence de sécheresse sévère ou d’indemnités, l’assurance bétail indexée améliore le bien-être des assurés en leur apportant de la tranquillité d’esprit.

En outre, une étude menée en Éthiopie a montré que les femmes achètent davantage de produits d’assurance que les hommes, tandis qu’une autre étude menée au Kenya indique que les femmes ont davantage accès au crédit si elles sont détentrices d’une police d’assurance bétail indexée. La souscription à une assurance indexée semble également améliorer les résultats en matière d’éducation.

Les preuves présentées montrent clairement que les produits tels que l’assurance bétail indexée sont essentiels pour améliorer la résistance aux chocs climatiques de type sécheresse. L’adoption de cette technologie en tant que filet de sécurité sociale par le gouvernement du Kenya et par le Programme alimentaire mondial en Éthiopie suggère qu’il s’agit probablement d’un instrument efficace pour améliorer la résilience.

De multiples difficultés persistent toutefois, qui sont autant d’opportunités d’innovation, de recherche et de test de nouveaux modèles d’affaires pour réussir à consolider l’implantation et le développement à grande échelle de ce produit. Certaines de ces difficultés sont liées à la faible utilisation du produit, à une compréhension variable des produits d’assurance et à des taux de perte élevés pour les compagnies d’assurance en raison des indemnités massives qu’elles sont amenées à payer lorsque les chocs sont fréquents et intenses, comme cela a été le cas avec les sécheresses prolongées de 2021-2022 qui ont touché la Corne de l’Afrique.

Goulets d’étranglement

Sur les terres de parcours, les éleveurs pastoraux utilisent des méthodes traditionnelles d’assurance communautaire, par exemple en offrant des animaux à la communauté en cas de perte ou en partageant des ressources entre eux si nécessaire. Toutefois, en ce qui concerne les services financiers tels que l’assurance bétail, les communautés veulent pouvoir en tirer des bénéfices immédiats et tangibles.

En outre, sur les terres de parcours, la complexité et la fragilité des contextes sont souvent à l’origine de changements fréquents des priorités des individus et des communautés et donc d’un faible degré d’adoption et d’utilisation des programmes d’assurance.

Dans de tels contextes, associés aux nombreux impacts du changement climatique, l’assurance doit, pour être viable et adoptée par les éleveurs pastoraux, être proposée en combinaison avec d’autres services. Les éleveurs doivent comprendre comment ces programmes fonctionnent et réaliser qu’il ne s’agit ni d’un compte d’épargne, ni de dépôts à terme, ni d’un ticket de loterie.

Il arrive fréquemment que, lorsque des produits tels que l’assurance bétail sont mis à disposition sur des terres de parcours, les fausses informations sur le produit et sa finalité conduisent à un pic d’adoption initial, suivi d’un rapide déclin une fois que la réalité sur ce que le produit peut et ne peut pas faire apparaît. En outre, la complexité des produits d’assurance et du risque de base et la capacité limitée des fournisseurs à assurer la livraison au dernier kilomètre font partie des goulets d’étranglement qui empêchent les petits exploitants et les éleveurs pastoraux de recourir aux produits d’assurance.

Deux problèmes passent souvent inaperçus : le ciblage et la place cruciale que tiennent les rôles de genre dans les régions pastorales. Qu’il s’agisse du type de bétail ou de l’accès aux ressources et aux services, l’assurance est souvent traitée de manière binaire, c’est-à-dire en partant du principe que les hommes et les femmes ont des besoins et des préférences similaires en la matière.

Dans les contextes pastoraux, les grands animaux tels que les bovins et les chameaux appartiennent généralement aux hommes tandis que les petits ruminants et la volaille sont détenus par les femmes. De récents travaux réalisés par l’ILRI en collaboration avec ses partenaires ont montré des différences significatives dans la manière dont les hommes et les femmes dépensent l’argent, que ce soit pendant les chocs ou en période normale, ainsi que des différences d’accès aux marchés en fonction des animaux élevés.

Les études montrent également que, lorsque les produits d’assurance ciblent les ménages, ils attirent davantage les femmes. Une tentative de transformer l’assurance bétail en assurance famille a d’ailleurs montré que les femmes ont davantage tendance à acheter le produit.

Prochaines étapes

Tout service, financier ou non, axé sur le marché doit être spécifique au genre, socialement inclusif et intégré aux mécanismes institutionnels locaux, régionaux et/ou nationaux. Le renforcement des capacités joue un rôle clé dans l’adoption et le développement à grande échelle des produits d’assurance, sachant que la présence de mécanismes de mise en œuvre plus solides permet également de développer les marchés et d’attirer des investissements privés.

Pour y parvenir, des innovations seront nécessaires pour réussir à développer et à proposer ces services dans le respect des besoins et de la demande des communautés pastorales. Il faudra donc investir dans des études de marché intensives et dans des programmes de vulgarisation et d’éducation, proposer des produits axés sur la demande, offrir des services complémentaires et développer et bien comprendre les marchés des intrants et des services dans ces contextes fragiles, complexes et dynamiques.

Le renforcement des capacités et le développement d’actions de plaidoyer en faveur d’un environnement favorable permettant le déploiement à grande échelle de solutions de gestion des risques telles que l’assurance bétail restent au cœur des activités de l’ILRI. Il lui faudra notamment s’interroger sur la capacité des produits d’assurance bétail à atténuer les conflits et à consolider la paix dans les systèmes fragiles et sur le rôle que les produits d’assurance bétail tels que l’assurance bétail indexée peuvent jouer pour renforcer les programmes de sortie de la pauvreté en combinant l’acquisition de biens et la protection de ces biens.

En s’appuyant sur l’expérience de l’assurance bétail indexée, l’ILRI continuera à travailler à des solutions de gestion des risques ne se limitant pas aux services financiers mais offrant une approche complète de l’atténuation des risques, en s’appuyant sur les processus, les pratiques et la différenciation sociale pour fournir des outils efficaces de consolidation des systèmes et de renforcement de la résilience sur les terres de parcours et dans les communautés pastorales des pays du Sud global.


Rupsha R Banerjee est scientifique à l’Institut international de recherche sur l’élevage (ILRI) de Nairobi au Kenya. Elle travaille actuellement au déploiement de solutions de gestion des risques pour le bétail, avec notamment l’utilisation d’informations numériques pour assurer les prestations de services dans la Corne de l’Afrique. Rupsha est titulaire d’un doctorat en connaissance et technologie des sciences, obtenu à l’université de Bologne en Italie.

Kelvin Shikuku est scientifique à l’ILRI où il dirige des recherches sur l’évolution des comportements et l’apprentissage social, notamment sur les terres de parcours de la Corne de l’Afrique. Il est titulaire d’un doctorat en économie du développement obtenu à l’université de Wageningen aux Pays-Bas.

Contact:  b.rupsha@cgiar.org


Références:

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