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3ème conférence sur la faim non apparente – il faut plus d’engagement politique
La proportion de personnes souffrant de la faim a considérablement diminué au cours des 25 dernières années. Alors qu’en 1990, 23 pour cent de la population mondiale souffrait de la faim, c’est aujourd’hui le cas pour seulement 11 pour cent. Toutefois, une personne sur trois continue de souffrir de ce qu’on appelle la faim non apparente. L’enrichissement des aliments, l’utilisation de compléments alimentaires et la diversification de l’alimentation ne sont que trois des approches adoptées par les chercheurs et les praticiens pour tenter de lutter contre cette faim non apparente. Le 3ème Congrès sur la faim non apparente (Hidden Hunger Congress), qui s’est déroulé à Stuttgart, Allemagne, du 20 au 22 mars, a examiné les différentes méthodes disponibles. Mais avant tout, ce qu’il en ressort, c’est que les participants ont demandé aux politiciens d’assumer leur responsabilité.
« Je pense que nous sommes en mesure de stopper la faim apparente, » a déclaré Shawn Baker, de la Fondation Bill & Belinda Gates, lors de la conférence de cette année sur la faim non apparente. Mais malgré le nombre et la puissance des outils disponibles, la faim continue d’être un problème urgent de développement que M. Baker est allé jusqu’à appeler « un échec politique ». Les politiciens ont suffisamment fait de promesses creuses. « Le leadership politique doit se traduire par des engagements financiers, » a déclaré Shawn Baker, pour qui la mise en œuvre de l’initiative SUN (Scaling-up Nutrition) en Côte d’Ivoire est un exemple encourageant.
Les politiciens doivent prendre des mesures préventives
Joachim von Braun, du centre de recherche pour le développement (ZEF), a également souligné le rôle de la politique dans la lutte contre la faim non apparente, et contre la faim en général. En particulier, la corruption, la violence et l’instabilité politique sont d’importants facteurs qui ont des conséquences dramatiques pour la sécurité alimentaire des populations touchées ou pour la faim dont elles souffrent. C’est ce qu’on a pu constater en Afrique de l’Est, dans le nord-est du Nigeria, au Yémen et quelques autres contrées. « Ces questions sont négligées, » a déclaré M. von Braun. « Je note avec grand plaisir que, récemment, d’importantes institutions internationales telles que la Banque mondiale ont pris position à ce sujet. Pendant des décennies, elles ont exclu toute activité d’investissement dans ce qu’elles appellent les États défaillants ou fragiles. » Aujourd’hui, environ un quart de ceux qui souffrent de la faim vivent dans ces États fragiles.
Thomas Silberhorn, secrétaire d’État parlementaire du ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ), a convenu qu’il ne fait aucun doute que les politiciens ont pour responsabilité de s’attaquer à la question de la faim. Lors de la conférence, il a souligné que le BMZ offrait 1,5 milliard d’euros provenant de son budget pour l’agriculture et l’alimentation, ainsi que par l’intermédiaire du programme Un monde sans faim, car la faim et la pauvreté continuent d’être parmi les problèmes les plus importants auxquels les politiciens sont confrontés. Selon lui, ils doivent toutefois prendre plus de mesures préventives au lieu de se contenter d’intervenir en cas de famine, faisant ainsi référence à la crise actuelle en Afrique de l’Est. « Tout comme la communauté internationale, nous devons mieux nous préparer à de telles situations d’urgence, » a fait remarquer M. Silberhorn.
Friedrich Wacker, du ministère fédéral allemand de l’Alimentation et de l’Agriculture (BMEL), a souligné la contribution de ce dernier au renforcement des capacités des pays partenaires. Par exemple, le ministère soutient le programme d’agroforesterie en Zambie et aide l’Éthiopie à examiner les qualités physiologiques des aliments ou la résilience des cultures locales à l’aridité, facteurs qui sont importants pour l’approvisionnement alimentaire de la population. Selon M. Wacker, « ces mesures contribuent également à la lutte contre la malnutrition. »
La diversité alimentaire, ça ne pousse pas dans les champs
Pour Matin Qaim, de l’université de Göttingen, en Allemagne, il faut que « les systèmes alimentaires deviennent plus sensibles à la nutrition. Par le passé, nous avons trop mis l’accent sur les céréales de base, et nous savons que cette priorité pose des problèmes pour ce qui est des micronutriments. » Toutefois, une plus grande diversité agricole ne se traduit pas automatiquement par une plus grande diversité alimentaire et, par conséquent, par des aliments meilleurs pour l’organisme. Cette conclusion est trompeuse et ne s’applique qu’à l’hypothèse selon laquelle les petits exploitants agricoles ne consomment réellement que ce qu’ils produisent. « Mais il n’existe plus d’exploitations purement de subsistance nulle part dans le monde, » a fait remarquer M. Qaim. « Les petits agriculteurs achètent également une partie de leurs aliments. Et pour cela, il faut de l’argent. » Si une partie des activités agricoles est une source de revenus, ces derniers proviennent majoritairement d’activités non agricoles. Et il a expliqué que presque toutes les exploitations agricoles ont des revenus non agricoles d’un type ou d’un autre.
Monsieur Qaim a soutenu que la raison pour laquelle l’hypothèse voulant que la diversité agricole soit synonyme de diversité alimentaire est fausse tient à l’insuffisance de la base de données. Les domaines concernés par les données recueillies à ce jour sont trop différents. Il est difficile d’établir une corrélation entre les données fournies par des études sur les exploitations agricoles et les données fournies par des études sur les ménages et les consommateurs de régions très differentes.
La proximité des marchés et la disponibilité de revenus sont cruciales
Ce n’est pas la diversité des cultures ou des animaux d’élevage qui joue un rôle décisif dans la diversité alimentaire, mais la proximité des marchés. C’est ce que montre une étude réalisée par M. Qaim à l’université de Göttingen. Cette étude a porté sur un total de 8 230 ménages d’Indonésie, d’Éthiopie, du Kenya et du Malawi. Le fait que la plus grande diversité alimentaire des ménages (HDDS) ait été constatée en Indonésie, où la diversité agricole des exploitations est la plus basse, est un des résultats les plus remarquables de l’étude. C’est exactement le contraire en Éthiopie.
L’étude montre également que la distance séparant les ménages des marchés joue un rôle en matière de diversité alimentaire. « La diversité, c’est bien, mais plus de diversité, ce n’est pas mieux, » a déclaré M. Qaim, qui a toutefois ajouté qu’un certain degré de diversité au niveau de l’exploitation peut se justifier comme mesure de prévention des risques présentant également des avantages écologiques. Mais l’étude conclut que trop de diversité peut faire obstacle aux débouchés commerciaux. S’appuyant sur ses résultats, M. Qaim a demandé de mettre fin aux biais politiques en faveur des céréales de base, de renforcer les marchés de produits alimentaires négligés, et de laisser les petits exploitants agricoles réagir aux incitations du marché.
Combler le fossé entre la connaissance et l’action
Parallèlement à la diversité alimentaire, l’enrichissement des aliments et l’utilisation de compléments alimentaires ont constitué le deuxième fil conducteur de la conférence. Rolf Klemm, de l’organisation humanitaire Helen Keller International, a pris l’exemple de la supplémentation en vitamine A chez les enfants pour montrer les problèmes liés à cette approche. La carence en vitamine A persiste en Afrique sub-saharienne et en Asie du Sud, alors qu’elle a été considérablement réduite en Asie du Sud-Est. Rolf Klemm explique qu’en Afrique également il y a eu d’importantes réductions de la carence en vitamine A chez les enfants jusqu’à il y a deux ans. Pour lui, la raison de la remontée de cette carence tient à ce que cette vitamine a été administrée avec la vaccination contre la polio. Compte tenu du recul rapide des cas de polio en Afrique, le nombre de vaccinations a diminué. « La vitamine A ne dispose plus de son vecteur habituel pour jouer son rôle, » conclut Rolf Klemm.
Monsieur Klemm tend également à considérer avec scepticisme l’addition de micronutriments en poudre pour enrichir les aliments. Bien que cette pratique soit aujourd’hui appliquée dans la moitié des pays du monde entier, elle est coûteuse et n’est pas abordable pour les consommateurs à faible revenu. Il demande qu’on accorde moins d’intérêt aux apports et qu’on en accorde plus aux procédés. Et surtout, qu’on comble le fossé entre la connaissance et l’action.
Auteur: Beate Wörner, journaliste, Stuttgart
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